L'angle mort
de Jean-François Chassay

critiqué par Libris québécis, le 21 février 2005
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'Essentiel est invisible
Il s’agit d’un roman qui, comme un « cahier des charges » à la Georges Perec, recèle quelques secrets familiaux que le lecteur s’apprête à découvrir. Il ne faut pas s’attendre à un parcours rectiligne qui conduit du point A au point B. À travers l’évocation des souvenirs de Stéphane, Camille et Dominique ainsi que de leurs conversations téléphoniques, on tente de déchiffrer l’intrigue, mais le discours des personnages importe peu. L’essentiel est ailleurs. Il porte plutôt sur un angle qui inquiète énormément les conducteurs automobiles, celui qui évapore la présence d’autrui.

Comme au volant de sa voiture, on doit conduire sa vie en tenant compte des angles morts qui coupent la réalité de ses amarres. La Vie, mode d’emploi de Perec souligne à propos le lien manquant qui rend parfois si énigmatique, voire absurde, ce que l’on perçoit des choses. Cet aspect de l’existence explique l’attrait de l’ésotérisme pour combler les absences. Et avec l’âge, l’aire d’évanescence s’agrandit. Mais doit-on s’en désoler pour autant ? Les points occultes ne seraient-ils pas au contraire des atouts précieux pour sauvegarder la pudeur, la réserve. Être un livre ouvert pour autrui ferait disparaître le vrai sens de la vie. Tout serait de l’ordre du déterminé, du prévisible. Finie la découverte qui permettrait à l’expérience de se faire valoir. Reproduire l’ordre des choses tue l’instinct de vie. L’indéterminé représente tous les possibles de l’être humain. C’est ce qui donne de la consistance à l’existence, comme l’entendait Italo Calvino dans Leçons américaines.

Derrière la conversation banale, derrière les intérêts manifestés, en occurrence dans ce roman l’architecture, la cuisine, l’Histoire, la neurologie, derrière la traversée du temps se cachent toujours les réelles identités. Autant de défis à relever pour se rapprocher d’autrui. Ce roman d’intellectuel n’est pas d’un abord facile. Mais l’auteur présente une facette de la vie à laquelle on ne s’arrête généralement pas. L’inconnu est la pierre d’achoppement à la compréhension de notre univers. Bref, Jean-François Chassay démontre que l’humanité doit être en quête de l’invisible qui masque l’essentiel.