Voici un petit livre qui m'a passionné, je l'ai lu deux fois ; je l'ai relu comme on se ressert de bon vin, pour s'assurer qu'il était vraiment bon.
Simone Weil y raconte sous forme d'une lettre à un religieux son cheminement spirituel, ses craintes, ses doutes, son espérance et sa quête de vérité. Elle explique aussi pourquoi elle refuse le baptême et entend donc rester sur le seuil de l'Eglise.
Mais si elle s'en prend avec virulence à l'Eglise, son propos est nuancé, car elle affirme clairement que l'Eglise est indispensable au maintient de la vérité, qu'elle a le droit de punir l'hérésie, que sa vocation est d'être catholique, c'est à dire universelle. Mais elle lui adresse un double reproche fondamental : d'abord, d'abuser de son pouvoir quand elle veut en imposer à l'intelligence et à la conscience individuelle ; elle s'insurge contre le "anathéma sit" (l'anathème) que l'Eglise s'est octroyée au Concile de Trente, et qui lui permet d'exclure un chrétien de sa communauté pour ses croyances personnelles en désaccord avec son enseignement.
Ensuite elle refuse que l'Eglise se prétende le Corps mystique du Christ alors qu'elle s'est rendue responsable de tant d'erreurs sinon de crimes.
Une erreur, (un crime ?) et non des moindres, est d'avoir désincarné le christianisme alors qu'elle avait pour mission de le mettre en harmonie avec le monde. Et la raison en est que l'Eglise a refusé de comprendre qu'elle n'était qu'un reflet de la vérité ; sans doute le meilleur parmi les autres, mais pas le seul. D'autres reflets de cette vérité existaient dans d'autres religions, égyptienne, grecque, indoue, sans doute aussi africaine et pré colombienne ; et les missionnaires à la suite des conquérants ont participé à leur destruction.
Il n'y a pas de peuple élu, dit-elle. Les prophètes, c'est à dire ces gens par qui Dieu s'adresse aux hommes, ont existé dans d'autres religions ; et l'Incarnation s'est faite aussi ailleurs que dans Israël, et notamment dans l'indouisme où l'on retrouve clairement le mystère de la Sainte Trinité.
Les missions des Jésuites en Chine au XVII ème siècle l'avaient parfaitement compris et la papauté qui les a désavouées a commis, dit-elle, une faute irréparable parmi tant d'autres.
Son argumentation est passionnante. Simone Weil connaît parfaitement l'Histoire de l'Eglise et la théologie des religions anciennes et actuelles.
Pourtant l'acquisition de tant de connaissances ne l'a pas empêchée d'être quelqu'un de terrain. Elle a travaillé en usine, où elle était syndicaliste, anarchiste, gréviste, Front Populaire, révolutionnaire, bref, ce qu'aujourd'hui on appellerait une vraie gauchiste. Elle a aussi participé à la guerre d'Espagne, du côté républicain, bien entendu.
Le plus étonnant, c'est que cette fille qui prétend n'avoir jamais prié, a connu des expériences mystiques :
- " Quelque chose de plus fort que moi m'a obligée à me mettre à genoux" (curieusement ce sont les mêmes mots qu'Etty Illesum, une autre mystique) ; elle nous raconte comment elle est entrée trois fois en dialogue intime avec Dieu. Mais, nous dit-elle, tout homme est possédé d'un génie, qui n'a rien à voir avec l'intelligence, et qui le conduit à parler à Dieu s'il le désire.
Simone Weil a écrit cette lettre, en 1942. A cette époque ces propos étaient inouïs. Aujourd'hui, Vatican II lui a largement donné raison sur plusieurs points ; notamment en reconnaissant le respect des consciences individuelles et en supprimant l'anathème (Encycliques : Gaudium et Spes et Dignatis Humanae).
Cette lettre de Simone Weil est un condensé d'intelligence et de savoir et on est loin, ici des sujets tartes-à-la-crème, préservatif, célibat, sexualité en tous genres, tous ces sujets qui font se trémousser les médias et alimentent les conversations des salons de coiffure pour dames.
On est loin aussi des propos de ces athéistes de combat et autres pourfendeurs d'Eglise qui démolissent tout à coups d'arguments péremptoires et sans appel.
Ici le propos est tout en mesure et l'argumentation, pour ferme qu'elle soit (et parfois même assassine), s'applique toujours à faire la part des choses. Ce livre est une recherche de vérité, dans le sens où l'entendait saint Jean quand il disait :
- "Je suis le chemin, la vérité et la vie". Et pour Simone Weil cette recherche de la vérité, seule avec sa conscience et sans l'Eglise, a toujours été le but unique de sa vie.
Dans un beau langage ce livre nous invite à découvrir le cheminement d'un être exceptionnel et à goûter au plaisir d'une belle recherche théologique ; et la théologie touche à tous les savoir : la mythologie, la philosophie, les cultures anciennes, l'histoire, les arts et même l'astrologie et les folklores authentiques. L'étendue des connaissances de Simone Weil est remarquable et le seul regret qu'on puisse avoir est que ce livre soit trop court.
Simone Weil est morte trop jeune, à 33 ans ; et la vie ne lui a pas laissé le temps d'écrire la grande oeuvre à laquelle, sans doute, elle se préparait.
Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 89 ans - 1 octobre 2005 |