Lettres sur les spectres et les esprits
de Hugo Boxel, Baruch Spinoza

critiqué par Kinbote, le 12 février 2005
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
L'aveuglement de l'homme commun
Correspondance à la fois plaisante et intéressante qui oppose, fin 1674, Hugo Boxel, juriste et avocat à la Cour de Hollande et Baruch Spinoza. Intéressant car cet échange de courrier est l’occasion pour le philosophe de préciser des points de sa philosophie, principalement sa conception de Dieu, et conséquemment la nécessité et le fortuit (par opposition au nécessaire et au libre), le libre arbitre auquel il ne croit pas (tout étant déterminé par Dieu), pas plus qu’aux idées de beauté et de laideur (variables selon le point de vue où on se trouve), de bien et de mal (il leur substitue les concepts de bon et de mauvais).

Pour Spinoza, « l’Homme est un être qui pâtit, qui est affecté par tout ce qui l’entoure et qui lui procure soit un supplément d’être (accroissement de la puissance d’agir), soit une réduction d’être (diminution de la puissance d’agir) », nous rappelle dans la postface Cyril Morana qui a réuni l’appareil critique de ce bouquin et résume clairement la philosophie de Spinoza.
De cette distinction entre ce qui touche l’homme, il s’ensuit qu’est bon pour lui ce qui accroît sa puissance d’agir, est mal ce qui la diminue.
A la question que lui pose Boxel, à savoir si Spinoza a de Dieu une idée aussi claire que du triangle, voici ce que répond le philosophe hollandais :
« A la question que vous me posez, à savoir si j'ai de Dieu une idée aussi claire que du triangle, je réponds: "Oui". Si vous me demandez : "Avez-vous de Dieu une image aussi claire que du triangle?", je réponds: "Non!" car nous ne pouvons pas concevoir Dieu par l'imagination mais seulement le comprendre par l'entendement. Et remarquez ici que je ne dis pas que je connais Dieu entièrement, mais seulement que je puis connaître certains de ses attributs. Certains, dis-je et non pas tous, ni même la plus grande partie. Et il est assuré que cette ignorance où je suis du plus grand nombre des attributs de Dieu ne m'empêche pas la connaissance de quelques-uns. Quand j'étudiais les Eléments d'Euclide, je compris tout d'abord que les trois angles d'un triangle étaient égaux à deux droits et je percevais clairement cette propriété du triangle, même si j'en ignorais cependant beaucoup d'autres."

L’échange est plaisant dans la mesure où Boxel ne se rallie pas aux arguments de Spinoza, qui « ne croit pas » à l’existence des spectres et esprits, mais au contraire se bute et s’affiche comme l’exemple-type de « ceux qui, n’ayant d’autres repères mentaux que leurs préjugés dressent compulsivement un mur d’objections qui les soustrait à l’empire du raisonnement » (comme souligné par François Zourabichvili dans Spinoza, Une physique de la pensée). Dans une ultime lettre, Spinoza qu’on sent énervé devant l’entêtement de Boxel en finit avec cet importun dans une salve d’arguments jetés, il le sait, en pure perte (sauf pour le lecteur de cette correspondance) mais comme pour la beauté du geste.

Pour tout savoir ou presque sur la philosophie de Spinoza, on peut lire L’Ethique, présenté « selon la méthode géométrique », et qui est moins ardu qu’il ne semble, puisque le raisonnement est découpé en axiomes et propositions qui se succèdent en une progression logique ou bien encore l’éclairant "Spinoza, philosophie pratique" de Gilles Deleuze. Ou du même auteur, le plus fouillé : "Le problème de l’expression chez Spinoza". Les éditions des 1001 Nuits ont aussi publié le Traité de la réforme et de l’entendement.