Nicolas de Cues
de Jean Bédard

critiqué par Libris québécis, le 4 février 2005
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Les Abus de l'Église
Jean Bédard est en train de ratisser les grands noms des pays situés à l’est de la France pour en faire des sujets de roman. À ce jour, il a consacré une œuvre à Maître Eckhart, une autre au Tchèque Jan Amos Komensky, mieux connu sous le nom de Comenius. Il a aussi écrit un roman dont le héros est un prince de l’Église autrichienne. Il s’agit du cardinal Nicolas de Cues, un disciple de Maître Eckhart. À travers lui, on voit comment la pensée du célèbre dominicain peut s’articuler sur un plan social.

Le héros lutta toute sa vie pour réformer l’Église qu’il jugeait trop engoncée dans des préoccupations terrestres. On comprend mieux la révolte de Luther quand on voit un prélat qui tente en vain de lutter de l’intérieur contre les abus commis par les représentants de Dieu sur la terre. Le cardinal Newman de l’Angleterre a signalé lui aussi, mais trois siècles plus tard, les mêmes erreurs dénoncées par les mystiques rhénans. Le célibat des prêtres s’explique très bien sous cet angle. On aurait eu une Église dirigée par des familles qui se seraient transmis le pouvoir de père en fils. On connaît déjà le célèbre cas du père de Lucrèce Borgia, un pape qui éleva son fils meurtrier à la pourpre cardinalice.

ll faut placer ce roman de Jean Bédard dans le contexte des abus de l’Église. Nicolas de Cues se prononça à l’encontre de la vision des autorités cléricales. Le cardinal autrichien a toujours refusé de voir une opposition entre la foi et la science; il prêchait aussi pour la réconciliation des religions, en particulier entre les chrétiens et les musulmans, en plus d’être le défenseur des pauvres qui défrayaient les luttes de pouvoir. Il s’est surtout signalé pour son acharnement à détourner l’Église de ses intérêts séculiers. Jamais, il ne réussit à atteindre même l’ombre de ses objectifs. Il faudra attendre 1929 avec les accords du Latran pour que l’Église se résigne à régner uniquement sur les quelques acres du Vatican.

La mission de Nicolas de Cues est analysée par le narrateur du roman, son secrétaire Henri, une âme tourmentée. Grâce à ce personnage, le lecteur peut vivre toute l’implication de la pensée de ce cardinal auprès des femmes en particulier, dont la vie s’est déroulée longtemps avec un bûcher comme toile de fond. Il faut dire cependant que Jean Bédard n’est pas le plus habile auteur pour manier l’Histoire et l’art romanesque. Mais il reste que ses œuvres, bien écrites et érudites, témoignent en faveur d’une ouverture d’esprit qui inclut dans les projets de société tous les humains de la terre.