L'analphabète : Récit autobiographique
de Agota Kristof

critiqué par Sahkti, le 2 février 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Pas d'illumination
Quel étrange personnage qu'Agota Kristof. Par moments elle me heurte, notamment quand elle parle de son exil suisse, de cette vie qu'elle n'apprécie pas trop et à laquelle elle s'habitue tant bien que mal. J'y sens comme un malaise, quelque chose de blessant de la part d'un être blessé. Avec dans ma tête, tellement de pourquoi... rester ou partir, vivre ou survivre.
En même temps, elle m'intrigue. Sa vie n'est pas un long fleuve tranquille, elle a mené divers combats, en particulier celui de la langue et du déracinement, ça inspire une certaine admiration teintée de respect. Personnage énigmatique par excellence dont j'ai du mal à savoir si elle est heureuse ou non.
A travers les onze souvenirs de ce texte (qui étaient au départ des chroniques pour un magazine allemand), le lecteur arrive à cerner quelques aspects de la personnailté d'Agota Kristof, il y a de l'émotion derrière tout cela. Pourtant, onze souvenirs, c'est peu quand on y pense (une cinquantaine de pages pour résumer une vie), mais elle arrive à y glisser pas mal de choses.
Seulement voilà, je n'ai que moyennement accroché, cette écriture-ci est différente de celle du "Grand Cahier", je la sens plus téléguidée, presque rédactionnelle. Est-ce que cela tient au fait que ces lignes étaient au départ destinée à la revue "Du"? Peut-être, mais pas uniquement. Les entretiens que j'ai pu lire d'Agota Kristof laissent à chaque fois (à mes yeux en tout cas) transparaître une femme qui se cherche et ne se sent bien nulle part, surtout pas où elle est. Il y a chez elle une forme de défaitisme ou de pessimisme qui étouffe par moments ses écrits, c'est dommage.
conté sur les planches... A Bruxelles 9 étoiles

Je lis, donc je suis …
Cela commence par l’enfermement d’un petit village hongrois, la petite fille de 4 ans réussit à s’évader par la lecture. A elle l’imaginaire, la liberté, l’émotion. Les punitions n’ont déjà plus prise sur elle. Le papa, maître d’école disparait dans une prison d’état pour crime de pensée sans doute, la famille est dispersée et c’est l’orphelinat carcéral qui attend la jeune fille de 14 ans arrachée aux siens. Les privations, le désamour. Là encore, en manque de livres, elle s’évade, par la pensée, en glissant de la lecture à la création et l’écriture. Ovation de ses condisciples, elle est la seule qui peut soulager leurs peines par ses mises en scènes théâtrales. Comme la musique dans certains camps... Le pouvoir de résilience de cette toute jeune fille est extraordinaire.
Suivent des années noires d’exode et de pauvreté. Le passage le plus poignant: celui du passage clandestin vers la Suisse. Elle a 21 ans et une petite fille. La voilà au milieu des pentes verdoyantes de la Suisse en plein Désert. Désert de langue, de culture, d’identité. Tout est à reconstruire.
Elle le fait avec acharnement. Quatre ans pour se ré-alphabétiser car le signe si rassurant lui est devenu étranger. La langue française, langue ennemie, même si pas autant que le Russe dictatorial, tue sa langue maternelle à petit feu. Parfois elle ne comprend plus sa fille élevée en français, parfois sa fille ne la comprend pas dans son hongrois qui s’effrite. Victoire enfin : elle finit non seulement, après son certificat d’études en français obtenu à 25 ans, par retrouver ses amis les livres de la langue cible… mais découvre en traduction les majestés littéraires anglo-saxonnes. Que du bonheur.
Plongée dans la mémoire cruelle et parfois muette ou sourde… et l’œuvre nait.
La mise en scène de cette genèse est d’une vivacité surprenante, un tourbillon de personnages virevolte autour du livre déployé, grand-ouvert, miroir de l’âme. Les costumes changent comme par magie. Le violon ponctue ou médite. Tour à tour les quatre actrices se profilent en prenant la parole d’Agota Kristof ; les changements de voix sont lisses et ne font qu’amplifier la richesse du personnage démultiplié. Un théâtre pédagogique sans lourdeurs, tellement l’éclat des yeux des actrices darde les spectateurs avec passion. Connivence, échanges mêmes, de livres de chocolat et d’oranges, cadeaux de simplicité pour une audience attentive et subjuguée par le rythme de pensée de cette âme rebelle, intelligente et créatrice qu’est Agota Kristof.
Message d’espoir à tous ceux qui doivent un jour choisir l’assimilation dans une autre culture. Qu’importe, finalement ne sommes-nous pas tous frères humains ?

roman transformé en lecture-théâtre: http://fantasticollectif.net/synopsis-de-lanalphab…

Deashelle - Tervuren - 15 ans - 11 juillet 2010