Rapport sur Auschwitz
de Leonardo Debenedetti, Primo Levi

critiqué par Sahkti, le 1 février 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Décrire l'horreur
Peu avant de se donner la mort, Primo Levi a confié à un ami qu'il ne supportait plus cette vie. Il a évoqué la maladie de sa mère (le cancer) et sa déchéance physique, son visage qu'il ne pouvait plus regarder tant il lui rappelait "celui des hommes gisant sur les planches des châlits d'Auschwitz".
Quarante ans après cette libération honorée récemment par le monde entier, l'enfer concentrationnaire aura eu raison d'un homme dont personne ne pourra remettre en doute la sagesse.
Un homme qui a constamment inspiré mon plus grand respect pour son œuvre indispensable de témoignage, par son regard lucide sur l'expérience terrible des camps et de la dérive de l'humanité.
Son texte "Si c'est un homme" se doit de figurer dans les classiques littéraires, un compte-rendu intime mais également global des camps. A mettre désormais en parallèle avec son "Rapport sur Auschwitz", texte qu'il rédigea avec le médecin italien Leonardo Debenedetti dans le camp polonais de Katowice. Un rapport sur demande des autorités russes consacré à "l'organisation hygiénico-sanitaire du camp de concentration pour Juifs de Monowitz" et qui sera publié dans une revue médicale italienne en 1946. Un texte que la langue française semblait avoir oublié jusqu'à aujourd'hui. On peut légitimement se demander pourquoi.

Le texte est cru, mécanique, scientifique, administratif, tout cela à la fois, c'est un rapport, une commande. Mais Primo Lévi se glisse entre les lignes. En inventoriant l'horreur, c'est le début de l'exorcisme. En énonçant les choses dans toute leur froideur, c'est apprendre le recul, tout minime soit-il, c'est apprivoiser la survie de l'âme bousculée liée à un corps meurtri.
L'essentiel du récit est consacré aux maladies dont souffraient la plupart des prisonniers des camps. A ces longues descriptions s'ajouteront des propos de Primo Levi et Leonardo Debenedetti sur l'arrivée à Auschwitz, ainsi que sur la vie à Birkenau. Instructif et sidérant. Effrayant.
Philippe Mesnard préface avec beaucoup de sensibilité ce témoignage indispensable, qui se termine par la transcription d'un entretien avec Primo Levi lors d'un retour à Auschwitz en 1982.
Dans ses explications, Ph.Mesnard revient sur la méthode de Primo Lévi pour consigner ces souvenirs, prendre des notes à la sauvette, les cacher, les détruire après les avoir mémorisées. Ecrire, déjà. Ecrire pour survivre, pour entamer une thérapie, pour comprendre le monde qui l'entoure.

"Lévi était peut-être un homme des Lumières, mais qui ne pouvait plus, après Auschwitz, détourner le regard de l'obscurité qui creuse désormais la clarté de la compréhension et contre laquelle la clarté doit lutter comme s'il s'agissait de lutter contre elle-même." (Philippe Mesnard)
Témoignage et littérature 9 étoiles

Ce livre se décompose en deux parties.
L'une est un rapport écrit par Primo Levi et son codétenu, médecin, Leonardo Debenedetti. Il a été rédigé à la demande des autorités soviétiques au camp de Katowice (Bogucice) où ils étaient tous deux "retenus" lors de leur errance racontée dans "La Trève" (pp.68 à 128). Or, curieusement, dans ce livre il n'est nullement fait mention de ce rapport, les opinions sur les autorités soviétiques étant plutôt négatives. Il s'agit ici d'une version remaniée de ce rapport publiée en 1946 dans une revue médicale italienne. le contenu est quasiment clinique. Il décrit, bien sûr avec en arrière-plan les horreurs des camps de la mort, les diverses maladies affectant les déportés et les conditions sanitaires - parfois correctes, parfois horribles - de leur traitement, en particulier chirurgical. L'écriture en est d'une grande clarté et d'une extrême simplicité. Le lecteur apprend donc les conditions sanitaires dans lesquelles étaient traités les déportés, la conclusion des soins - ou non soins - étant souvent la chambre à gaz.
La deuxième partie est un texte rédigé par Philippe Mesnard sur les relations entre Primo Levi et la littérature. Celles-ci sont traitées sous plusieurs angles. En quoi le traitement littéraire d'un témoignage donne-t-il à celui-ci une résonance particulière ou le modifie-t-il? Quels ont été les rapports entre Primo Levi et la littérature: longtemps mauvais avec le milieu littéraire italien? En quoi Levi a-t-il voulu être un écrivain laissant sa marque plutôt qu'un simple témoin? Tout le commentaire tourne autour de ces thèmes qui permettent au lecteur de réfléchir sur le rôle de la littérature. Ce n'est pas rien. Malheureusement Philippe Mesnard utilise une démarche et un style philosophico-littéraro-universitaires qui compliquent inutilement l'approche de ces questions. Le lecteur doit, au-delà du vocabulaire et des tournures de phrases sophistiqués, extraire la réalité plutôt simple des questions traitées.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 13 septembre 2019