Au nom de tous les hommes : Abel et Caïn
de Martin Gray

critiqué par Bachy, le 1 février 2005
( - 61 ans)


La note:  étoiles
Courage et lucidité
Martin Gray a vécu une existence où tragédie et moments d’espoir et de combat ont été intimement mêlés. Jeune homme, il a vécu dans le ghetto de Varsovie, puis fut déporté par les nazis dans le camp d’extermination de Treblinka, où, parce qu’il était jeune et vigoureux, il fut chargé de retirer les corps des chambres à gaz et de les enfouir. Une expérience dont l’horreur le marquera à jamais. Il perd 110 membres de sa famille dans l’Holocauste, mais réussit à survivre et à s’évader.
Cet homme a côtoyé les plus grands, et enchaîné les conférences à travers le monde, pour témoigner de son histoire et raconter l’indicible.
A travers l’évocation du mythe de Caïn et Abel, Martin Gray rappelle que chaque homme est écartelé entre le bien et le mal, qu’en chaque être se trouvent une victime et un bourreau potentiel, qui ressurgiront (ou pas) selon les circonstances de la vie. Les violences qui ensanglantent le monde en témoignent, tant il est facile de laisser libre cours à ses pulsions meurtrières.
Une très belle leçon de fraternité, d’humanité et d’espoir, par un grand témoin de l’Histoire qui a traversé les pires horreurs de l’existence, mais qui en a gardé une force et un courage impressionnants.
Son livre est un plaidoyer contre la violence, l’humiliation et l’intolérance envers chaque être humain, quelle que soit son origine ou sa religion. « Au nom de tous les hommes » est un cri de colère, un acte de fraternité et un message d'espoir.
Loin des notes mélancoliques ou doloristes, l’auteur observe la logique de la dualité, le temps qui passe, l’absence, les déchirures, les ruptures et les séparations. Il s’arrête sur l’homme, cet être qui excelle dans l’art de l’amour et la guerre. Et comme pour chercher l’équilibre entre le rationnel et l’intuitif, il rassemble des traits épars et fait briller dans le regard un éclat particulier. Ce qui est énigmatique devient magique. Et surgit alors un instant de recueillement et de quiétude. Un salut inattendu. Une force d’avant le monde.
L’écriture ici n’est pas un témoignage, elle est une remise en question de l’être dans son rapport à soi-même et à ce qui l’entoure. Elle est également un cheminement dans la quête de soi.
Désespérer d’une chose c’est ne plus en être quitte, vouloir la situer sur une autre scène, dans une autre temporalité, plongeant dans cet instant de finitude. C’est là l’étrange pari qui saisit le lecteur, ni le temps ni l’éternité d’une défaite conçue : l’angoisse use d’un nouvel état et se réfugie dans une musique venue d’ailleurs, qui devient peu à peu un état de nostalgie, aussi celui de l’exil et de la disparition. Cette volte-face produit des valeurs appelées à se libérer peu à peu, ne sont pas sans rappeler le constat d’échec qui devient une véritable interpellation du salut que cherche Martin Gray dans son élan de pure fidélité à l’histoire dont il est le protagoniste.