La musique d'une vie
de Andreï Makine

critiqué par Jules, le 30 mars 2001
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Un monde plus qu'absurde
Le début de cette histoire coïncide avec la date à laquelle un philosophe, réfugié à Munich, a trouvé un terme nouveau pour désigner le peuple soviétique.
Le narrateur est sidéré de voir à quel point ce terme englobe bien chaque composante de ce gigantesque peuple, sans exception ! A peine trouvé, il parcourt la planète et est utilisé par tous. Le philosophe est Zinoviev et le terme « générique » est « Homo Sovieticus ».
Une gare au fin fond de l’Oural. La neige tombe comme vache qui pisse et le train pour Moscou a plus de six heures de retard. Comme dit le narrateur, il pourrait aussi bien avoir six jours ou six mois de retard, cela ne changerait rien ! La gare est remplie de passagers en attente, couchés n'importe où, n'importe comment, entassés les uns sur les autres. «La nuit confond les dormeurs dans une seule masse vivante & une bête goûtant par toutes ses cellules la chance de se trouver à l'abri. » Ils auront trois mille kilomètres à parcourir, plusieurs faisceaux horaires à traverser, et devront passer d’Asie en Europe pour arriver, enfin, à Moscou !.
Cette gare n'est jamais qu'un minuscule point noir dans la gigantesque étendue de cet énorme pays recouvert de blanc à perte de vue. « Et cette gare assiégée par la tempête n’est rien d'autre que le résumé de l’histoire du pays. De sa nature profonde. Ces espaces qui rendent absurde toute tentative d'agir. La surabondance d'espace qui engloutit le temps, qui égalise tous les délais, toutes les durées, tous les projets. »
Le narrateur, dans une pièce perdue de la gare, tombe par hasard sur un vieil homme. Ils ne se quitteront plus avant plusieurs jours, avant Moscou. Et cet homme, Alexeï Berg, va lui raconter sa vie, et quelle vie !
Fils d’un musicien et d'une comédienne, il apprendra la musique et deviendra pianiste. Mais nous sommes à l'époque des purges de Staline et, de l'extérieur, il assiste à l'arrestation de ses parents le jour où il doit donner son premier concert. Il s’enfuit immédiatement pour tenter d'éviter la déportation. Il se retrouve en Ukraine, caché par de la famille. Soudain un bruit énorme envahit sa minuscule cache. Le ciel gronde et hurle, le sol tremble, des coups de feu retentissent dans tous les coins. Hitler vient d'envahir l'Ukraine et toute la vie d'Alexeï va s’enfoncer encore un peu plus dans l'absurde !
A l’absurde du temps de paix sous la dictature aveugle d'un homme mythomane, va s’ajouter toute l’absurdité de la guerre. Alexeï Berg va se perdre dans la masse des troupes en déroute. Mais il va surtout se perdre tout court !… Que va-t-il rester de lui, qui est-il, que fait-il, que représente encore la vie, que représente la mort, que représente les autres ?. Un monde fou !. Le Chaos d'avant Kronos !… Et l’absurde aura-t-il une fin pour lui ?. A vous de vivre cette histoire d'un « Homo Sovieticus » parmi beaucoup d'autres…
Il n'est pas nouveau de dire que Makine écrit merveilleusement bien et ses prix Goncourt et Medicis de 1995 sont là pour en témoigner.
Une pépite. 10 étoiles

Ce livre est une pépite comme on peut en découvrir en feuilletant les critiques de notre site favori. En quelques pages on y retrouve toute l’âme de la sainte Russie qui souffre sous le régime inhumain des Soviets. On y voit les ignominies, les injustices et l’arbitraire de ce régime qui avait promis au bon peuple le paradis sur terre et qui l’a conduit en enfer. Car c’est bien dans un enfer qu’a vécu le héros du livre : obligé de disparaître, obligé de vivre sous une fausse identité, obligé de mener une vie absurde de guerre et de violence, pour survivre, il est quand même repris par le régime et anéanti, alors qu’il était né artiste et appelé à porter son art à son plus haut niveau.

Ce livre, qui est le récit d’une vie imaginée, est comme un cri, ou plutôt un murmure de compassion, pour les victimes de ces régimes odieux, qui coupent les têtes qui dépassent et traitent les peuples en esclavage. On est pétrifié de consternation en lisant cette vie, en même temps qu’on est séduit par la merveilleuse écriture de Andreï Makine. Ce petit roman est assurément un trésor de la littérature.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 31 décembre 2021


une rencontre éphèmère et inoubliable 9 étoiles

Ce roman est une véritable parenthèse enchantée. Il nous plonge, le temps de quelques heures de lecture tout au plus, dans la vie d'un homme âgé dont la vie fut gâchée par la dictature stalinienne. En effet, ce pianiste, Alexis Berg, a dû fuir sa Russie stalinienne, en 1941, à quelques heures de son premier concert car il est, à ce moment là, un jeune pianiste voué à une brillante carrière de musicien. Or, en entrant chez lui, il ne peut que constater que ses parents sont en train de se faire arrêter et doit quitter sa terre natale pour rejoindre, en Ukraine, de la famille très éloignée. Il fuit donc sa brillante carrière en devenir et va devoir changer d'identité pour fuir ses années noires. Il devient chauffeur d'un haut responsable militaire et tombe même amoureux de sa fille. Il ne peut, bien sur, pas avouer sa véritable identité de peur de se faire arrêter. Son histoire est contée au narrateur du roman, un homme parmi tant d'autres qui découvre, par le plus grand des hasards, Alexis Berg en train de jouer du piano dans une sombre pièce de la gare de Moscou. Alexis Berg va se confier sur sa vie, pendant les longues heures de trajet en train, à cet inconnu. Il lui raconte sa vie, ses déboires, ses peines et c'est un moment magique et inoubliable tant pour l'auditeur de cette histoire que pour nous, simples lecteurs.
Andreï Makine a une plume extraordinaire, il sait, comme personne, parler de sa Russie avec des mots qui virevoltent et peuvent cingler à la fois. J'ai beaucoup aimé ce roman qui l'espace de quelques instants nous fait vivre un rêve éveillé.

Clubber14 - Paris - 44 ans - 5 avril 2017


Magique 8 étoiles

Makine est décidément un écrivain hors norme. Outre le fait qu'il a réussi l'exploit d'obtenir un Goncourt avec un livre de qualité, il parvient à émouvoir avec des textes intenses.
Ne vous y trompez pas, ce petit bouquin en taille semblerait prévu pour un petit après-midi de lecture. Il n'en a rien été et il m'a fallu presque une semaine pour en venir à bout : un monument !
Ce récit contient (je pense) la plus belle page de son oeuvre et je ne peux résister à l'envie de vous en reproduire ici un partie.

" ... à la certitude que la touche bleu foncée du velours était la composante même, à la fois évidente et codée, du bonheur. Et que les autres composantes étaient ces flocons derrière les vitres, ce début du crépuscule, ces notes dont le flottement laissait parfois deviner la faiblesse juvénile des doigts.
Il vivait cet amour au passé, entraîné vers les années de grande peur où il ne rencontrait que les masques au long nez, , ces trois années durant sa jeunesse où il aurait dû vivre exactement ce qui arrivait aujourd'hui : cette rencontre avec avec une jeune fille de son âge, un premier amour. Il avait vingt-sept ans à présent. La jeune fille au piano rendait cette question d'âge sans objet car il se sentait en dehors du flux habituel des jours, dans un temps dédoublé, dans une rêverie qui lui laissait revivre ces trois années passées au milieu des masques."

Monocle - tournai - 64 ans - 2 août 2013


Magique 9 étoiles

J’avais lu il y a bien longtemps Le testament français qui m’avait laissé un excellent souvenir. La musique d’une vie ne m’a pas déçu car j’ai retrouvé l’intelligence, la finesse et la sensibilité qui m’avaient marqué.

Dans une gare de l’Oural, attendant le passage du train (6h de retard...) le narrateur fait la connaissance d’un vieux monsieur, un étrange personnage qui joue silencieusement du piano dans une salle de la gare. Celui-ci va raconter pendant le voyage jusqu’à Moscou sa bouleversante histoire, où se mêlent délicatement musique, amour,guerre et totalitarisme, et dans laquelle son amour du piano joue un peu le même rôle dans son bonheur et sa perte que les échecs dans Le joueur d’échecs de Zweig.

Tout ceci est écrit dans un style d’une grande simplicité, l’intensité et la poésie du roman venant de la vérité des sentiments et non de la sophistication du langage.

A lire absolument

Romur - Viroflay - 51 ans - 8 mai 2011


Une rencontre émouvante 9 étoiles

Un homme attend un train pour Moscou qui est en retard de six heures. Il passe le temps en étudiant les gens rassemblés dans la gare et en spéculant sur leur vie et leur destin respectif. Quand finalement, le train entre en gare, il s'installe dans le dernier wagon où il fait la rencontre d'un homme qui lui racontera sa vie lors du voyage. Ce pianiste allait donner son premier concert en 1941 lorsque ses parents furent arrêtés. Lui-même est alors forcé d'entrer dans la clandestinité, de prendre l'identité d'un soldat mort afin de pouvoir combattre avec l'armée et travailler comme chauffeur à la fin de la guerre. Il finira pourtant par le donner ce fameux concert mais pas comme il l'imaginait... Le livre a été très bien résumé par Jules alors je ne développerai pas plus pour l'histoire.

Mais, comme ce livre est émouvant ! Une triste histoire racontée de si belle façon ! Un destin brisé, un talent musical broyé par la guerre, détourné de son envol, un homme forcé de faire taire sa musique afin de pouvoir survivre, un homme qui n'oubliera jamais ce qu'il est vraiment mais qui devra cacher son art afin de conserver un semblant de sécurité. Mais, un amour de la musique aussi grand finit toujours par se manifester d'une façon ou d'une autre, scellant le destin de celui qui le possède et le laisse éclater au grand jour. Un bijou de livre !

Dirlandaise - Québec - 69 ans - 20 février 2009


Slavissimo 10 étoiles

Pour comprendre l'homme soviétique, ce mystère, et nommer celui que le rideau de fer avait, en se baissant, rejeté dans l'immensité de ses steppes glacées, nous avons saisi l'occasion offerte par Zinoviev.
"Homo Sovieticus". Tel un lointain ancêtre émergeant de la glace qui l'avait saisi au paléolithique, il acquérait avec ce nom un être, une histoire, une forme, une identité... Le dégel kroutchévien, suivi du petit âge glaciaire brejnevien avait sorti puis provisoirement rejeté ce que trente ans de guerre froide avaient ajouté aux peurs de l'occident pour le révéler progressivement à nos yeux étonnés : un humain. Comme nous.

L'univers dans lequel il vivait apparût peu à peu à nos consciences, jusqu'à la glasnost et la pérestroïka qui nous le livreront dans toute sa vérité: un spécimen d'humanité qui a résisté avec constance à la plus incroyable des barbaries. Celle qui congèle les âmes en attendant de les délivrer aux lendemains qui chantent.

Cet homme a vécu dans un monde où les distances et le temps sont abolis par le fatalisme, la fatalité par le bon sens, et les excès de non sens par la vodka. Pour résister, il se dédouble, cache ce qu'il est pour ne laisser subsister qu'une apparence, perdant son être dans la masse de ses congénères.

Il faudra à Alexeï Berg, qui a endossé en même temps que son uniforme l'identité d'un soldat mort -échappant ainsi au goulag qui l'attendait- la tentation d'un amour impossible pour retrouver sa vraie nature. Alexeï est pianiste, un pianiste qui n'a pu donner son premier concert parce qu'obligé le jour même de fuir la police de Staline, le bienveillant petit père du peuple.

Il refonde sa personne et sort de la peau du double de lui-même qu'il était devenu lorsque la jeune Stella, cruel Pygmalion sans cervelle l'humilie devant un parterre d'aparatchiks.
Pour cesser d'être sa créature, il tire un jour du piano sur lequel elle prétendait lui faire ânonner une ritournelle enfantine -"Mais vas-y, tu commences par le Do avec le pouce de ta main droite" - une élégie, une sonate ou qui sait quelle page de Rachmaninov ou Scriabine et retrouve à la fois son unité et sa vérité par la musique.

Allez, pour la route, pour le style de Makine qui est décidément un magicien, la fin de cette scène:

"Quand il laissa retomber ses mains sur le clavier, on pût croire encore au hasard d'une belle harmonie formée malgré lui. Mais une seconde après la musique déferla, emportant par sa puissance les doutes, les voix, les bruits, effaçant les mines hilares, les regards échangés, écartant les murs, dispersant la lumière du salon dans l'immensité nocturne du ciel derrière les fenêtres.
Il n'avait pas l'impression de jouer. Il avançait à travers une nuit, respirait sa transparence fragile faite d'infinies facettes de glace, de feuilles, de vent. Il ne portait plus aucun mal en lui. Pas de crainte de ce qui allait arriver. Pas d'angoisse ou de remords. La nuit à travers laquelle il avançait disait et ce mal, et cette peur, et l'irrémédiable brisure du passé mais tout cela était déjà devenu musique et n'existait que par sa beauté. "

A lire à haute voix, pour soi, pour la musique.

TELEMAQUE - - 76 ans - 15 octobre 2006


Grand prix RTL-Lire 8 étoiles

Un court roman intimiste déjà bien résumé plus haut, donc je vous évite les détails. Que dire de plus sur cette écriture ciselée de Makine et son pouvoir d’évocation remarquable ?
Une jolie histoire, en dépit de la gravité du sujet. Les analogies entre la musique et le rythme de la vie sont faciles, mais on pardonne.

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 14 décembre 2005


Ambiance et histoire simple. 8 étoiles

J'aime beaucoup Makine car j'adore l'âme ruse qu'il décrit et qu'il nous donne a deviner.
L'homo sovieticus n'a jamais été aussi bien décrit.

Drclic.

Drclic - Paris - 48 ans - 10 septembre 2004


Comme une symphonie 9 étoiles

Le narrateur nous replace dans la période stalinienne des purges et des
camps de la mort. il nous fait revivre sa rencontre en 1941 avec un jeune pianiste dans une gare de Sibérie et au cours de leur voyage vers Moscou il va écouter la confession de ce talentueux artiste , Alexei Berg . Il apprend que le destin de ce dernier va basculer lorsque peu de temps avant son premier concert , ses parents sont arrêtés et expédiés dans un camp où ils seront exterminés comme opposants au régime stalinien. Le jeune pianiste s'enfuit en Ukraine où il trouve refuge et va se placer dans la clandestinité en recouvrant l'uniforme volé à un soldat mort au début de la guerre. Ensuite il va devenir chauffeur d'un général , s'éprendra d'une jeune fille laquelle épousera un autre et finalement sera découvert comme usurpateur et sera envoyé au goulag pour quelques années. L'auteur dénonce ici " l'homo sovieticus" : personnage résigné , fataliste , soumis qui a perdu toute identité dans un pays froid , gris , sale à l'image de cette gare où les protagonistes se sont rencontrés vingt-cinq ans plus tard. A. Makine nous démontre avec brio que l'art et plus spécialement la musique permettent à l'individu de se sauver de cette condition humiliante imposée par le régime communiste. On ressent dans ce magistral roman toute la noblesse de l'âme russe , profonde, sensible et généreuse. Le style est d'une grande beauté à la fois sobre et classique comme une symphonie.

Francesco - Bruxelles - 79 ans - 2 septembre 2001


L'âme slave en quelques pages 10 étoiles

L'écriture de Makine est à la fois simple et subtile. On y retrouve à merveille l'âme slave. Cet auteur russe qui écrit en français ne nous déçoit pas ! Mais, est-ce vraiment nécessaire de nous livrer une "fiche de lecture" pour écolier paresseux ...

Spin Gourmet - BRUXELLES - 49 ans - 8 avril 2001