Condition de l'homme moderne
de Hannah Arendt

critiqué par Froidmont, le 28 novembre 2025
(Laon - 34 ans)


La note:  étoiles
Trop pointu pour moi
Je ne prétendrais pas avoir tout bien compris,
Et la faute en incombe à mon petit esprit
Qui, sur ces longs sentiers encerclés d’aubépines,
S’égarait fréquemment vers de douces chaumines.
J’aspirais à l’Éden, à la verte Pampa ;
J’ai trouvé sous mes pieds le sec Atacama.
Aussi quand j’y marchais, la moindre pâquerette
Vidait tout mon cerveau sur des pages complètes ;
Et lorsque j’émergeais de mes rêves fleuris,
Plus rien ne me restait de tout ce que je vis.
Ce retour à zéro, ces constantes vidanges
Donnaient à chaque phrase une tournure étrange.

Mais d’où vient que j’aie eu autant d’égarements ?
C’est la langue d’abord qui pèse lourdement :
Le phrasé qu’on emploie dans la philosophie
Est lourd, riche, verbeux et ne fait pas envie.
Pire même, il exclut, crée l’incompréhension,
S’élève loin de nous, use de l’abstraction
Sans doubler l’exposé d’une image concrète
(Arendt le fait parfois, mais rarement s’y prête)
Qui laisserait le sens accessible au commun.
Or la philosophie peut être pour chacun
En jetant sur ces ombres quelques éclaircies,
En usant du concret et de pédagogie.

Mais la méthode aussi est un point maladroit.
C’est universitaire jusqu’au bout des doigts,
Disons plus simplement qu’au cours de l’écriture
Arendt étale tant d’auteurs et de culture
Qu’il devient malaisé de distinguer dedans
Ce qui est sa pensée, ce qui date d’avant.
Si bien que tout l’ouvrage a l’aspect somnifère
D’une succession sans fin de commentaires.
Les bancs des facultés ovationnent cela,
Mais l’être disparaît sous cette manie-là ;
Entre gens cultivés on jouit de ce qui fuse,
Mais, vue de l’extérieur, la pensée est confuse.

Sur ce fait un exemple est des plus édifiants :
Arendt s’est proposé dans son raisonnement
D’élucider ce dont le titre fait promesse,
Or plus de la moitié des sources qu’en hôtesse
Elle héberge au cœur de son palais de papier
Étirent leur long cours depuis l’Antiquité,
Embrouillant notre esprit sur l’époque moderne.
Pourquoi donc commencer, bien étrange poterne,
Par parler des esclaves chez les grecs anciens ?
On ne peut pas prétendre à un évident lien.
Paul Ricœur le sentait, qui signe la préface,
Et tenta d’expliquer et leur rôle et leur place.

Du peu que j’ai compris, je garde un désaccord :
Au cours d’une partie qui m’intéressa fort,
Arendt a déclaré l’œuvre d’art inutile.
Limiter ainsi l’art me semble un peu facile,
Car notre architecture est des arts le premier,
Pourtant ses productions dans notre société
Ont aussi leur fonction dépassant l’esthétique.
Elle décrit aussi l’art comme étant statique,
Imperméable au temps, car on n’en use pas.
Et les restaurateurs, que font-ils de leurs doigts ?
Dans l’air les particules restent délétères.
C’est encor méconnaître tout l’art éphémère.

Enfin tout dernier point qui vise l’éditeur.
Georges Fradier qui est le présent traducteur
A traduit tout l’anglais, or Arendt, généreuse,
A cumuler les sources sans doute soucieuse,
Cite autant en latin qu’en grec ou allemand,
Que Fradier n’a pas pu traduire simplement.
Mais comment l’éditeur a pu laisser ces peines
Qui privent le lecteur de lumières certaines ?
L’ouvrage semblât-il trop simple en sa façon
Pour qu’on le laisse ainsi être un peu plus abscons ?
Voici que par trois fois on nous pousse et nous jette,
Aussi ai-je rêvé parmi les pâquerettes.

Mais j’ai été honnête et l’ai lu jusqu’au bout.
La déférence est due à Arendt après tout.
J’ai su tôt que j’aurai la critique sévère :
La main ne peut pas être lourde à la légère.
Respecter ce n’est pas encenser chaque mot,
C’est n’en laisser aucun sans l’examen qu’il faut.
Pourtant je n’exclus pas la possible faiblesse
De mon propre intellect qui ferait que j’abaisse
Un écrit magistral au rang de maladroit ;
Peut-être n’ai-je pas au plus profond de moi
Ou la concentration ou bien les connaissances
Pour comprendre cette œuvre et sa magnificence …