Apologie des oisifs
de Robert Louis Stevenson

critiqué par Lamanus, le 27 janvier 2005
(Bergerac - 65 ans)


La note:  étoiles
Pour une glorification du glandeur
Une apologie des oisifs de R. L. Stevenson s’adresse en particulier à tous les enquiquineurs patentés qui tentent de nous remonter les bretelles avec leur travail bien fait, leur éloge de la production et leur seuil de rentabilité triomphant. Une agréable petite musique aux oreilles de ceux qui, comme moi, sacrifient l’essentiel de leur journée à se la couler douce et sans forcer.

Soyons honnête, Une apologie des oisifs de Robert Louis Stevenson — petit fascicule de soixante-dix-huit pages — ne vaut que pour ses vingt premières traitant justement du sujet. Ce qui suit, Causeries et Causeur I puis II, n’a aucun intérêt ou, plus précisément, à perdu son charme et sa saveur, bref est complètement daté.
Par contre, cette apologie des oisifs est un petit bijou que je conseille de lire aux bosseurs, aux dingues de travail, aux acharnés des heures de supplémentaires, aux mordus de la rentabilité et autres fadas qui tentent de pourrir le précaire équilibre de nos vies — à nous les irréductibles de la grasse matinée, les amoureux de la folâtrerie dans des champs où les blés mûrs chatouillent nos aisselles duveteuses et humides, les rêveurs, les allergiques chroniques aux mots travail – devoir - patrie, les asociaux combattants acharnés de l’anormalité, les tire aux flancs, les spéciales des doigts en éventail ; en résumé, à nous qui ne nous satisfaisons pas d’une vie saine faite d’un labeur besogneux et d’une suractivité pathologique — à ceux donc qui nous pourrissent la vie en tentant de nous culpabiliser et nous ostracisent pour la simple et délicate raison que nous n’en foutons pas une rame. C’est à eux que s’adressent ces vingt pages sublimes. Mais, les sachant trop occupés à des travaux dont l’importance n’a d’égal que l’orgueil boursouflé qu’ils en retirent, je vais tenter, pour leur profit immédiat, d’en distiller la substantifique moelle.

Chacun, comme le dit Robert Louis, est contraint d’exercer une profession lucrative sous peine d’être condamné par contumace pour lèse-respectabilité. S’il est un moyen de repérer l’oisif, c’est bien celui-ci. L’oisif est un homme dont l’essentiel de l’activité s’avère être philanthropique. Son seul but est de s’enrichir personnellement avant d’enrichir son compte en banque. Il travaille peu mais à bon escient. Il ne s’agite que pour nourrir son âme et, accessoirement, son corps. C’est un être doué de raison qui fait passer sa vie avant celle supposée d’une collectivité ogresse de nature. C’est un homme attiré par le luxe de vivre plutôt que par la pauvreté de gagner sa pitance. Un utopiste qui met en pratique son utopie. Le genre d’utopie dont on meurt, sans le sou, peut-être jeune, mais tellement heureux. En résumé, c’est un saint.

Côtoyer ce spécimen est déstabilisant pour l’hominidé sociabilisé. Il voit en lui un risque pour son foyer, sa tribu, son portefeuille. Il l’évite donc, bien qu’en vérité leurs chemins se croisent rarement et par hasard. L’homotravaillicus s’est depuis des lustres oublié. Il est entré dans le rang. Il a, dès sa jeunesse, besogné comme un damné à l’école pour avoir le droit de bosser tout le reste de sa vie avant de mourir d’un cancer généralisé. Il considère en outre que les seuls loisirs acceptables sont ceux qui coûtent, donc qui créent de la richesse. Par définition le non-oisif est un créateur de biens, un aimable engrais pour toutes les bourses du monde et lois du marché universelle.

Tout comme Robert Louis, on est en droit de se poser cette question : Et, au nom du Ciel, pourquoi toute cette agitation ?
Alors que l’oisif est un bienfait pour la nature, qu’il est écologiquement souhaitable, qu’il ne produit qu’un nombre limité de gaz à effet de serre, qu’il ne stresse pas son prochain, qu’il ne gâche ni sa vie ni celle des autres, qu’il n’a aucune ambition d’ordre social et financier, qu’il n’envahie pas les périphériques aux heures de pointe en klaxonnant comme un beau diable le visage cramoisi et l’invective spumescente au bord des lèvres, oui, alors que l’oisif devrait être le héros des temps modernes, pourquoi le stigmatise-t-on autant ?
Glandez, la société se charge de vous éliminer. C’est en quelque sorte le résumé de la situation actuelle.

L’agitation ne serait-elle pas le seul moyen qu’a l’homme de se négliger ? Et l’oisif ne serait-il pas le surhomme capable à la fois d’entrevoir sa condition et de l’accepter ?
Personnellement je cois que l’oisiveté est, au moins une fois de temps en temps, vecteur de l’ennui qui est la seule condition que je connaisse pour n’être que ce qu’on est au moment où on l’est. Être oisif c’est se vivre totalement et s’assumer dans son intégralité et pas seulement pour ce que les autres veulent que vous soyez. Un oisif fait peur parce qu’il se dissimule aux regards de ses contemporains. Il les inquiète. Mais aussi, il est envié parce qu’il est "gonflé", parce qu’il a osé transgresser la règle, parce qu’il s’habite.

C’est un peu tout ça et plus encore que Stevenson touche du doigt dans ces vingt pages enthousiasmantes.
En parlant des ces gens qui combattent l’oisiveté comme une maladie honteuse, Robert Louis écrit : Et ils sont, tout comme le monde qu’ils habitent, si insignifiants que l’esprit se glace à cette seule pensée.
Plus de cent ans nous séparent d’Une apologie des oisifs et on se gèle toujours, si ce n’est davantage.
Oisifs de tous horizons, soyez fiers!! 8 étoiles

Prenant mon service à 12h30 et désireux de converser un minimum avec ma collègue d'en face (que je ne connais pas encore), je m'assied face à elle et début par les formules de politesse classiques; viennent ensuite et chronologiquement la dureté psychologique de notre travail, les commérages entres collègues (comme quoi c'était mieux avant etc..), les patrons qui sont rien que des salauds et la 1ère dent du petit. Bref après disons 2 heures de babils et la conversation s'épuisant d'elle même, nous décidâmes d'un accord commun et sous-entendu qu'il importait désormais de s'isoler chacun dans notre mutisme et de vaquer à quelque occupation solitaire (mais parfaitement honorable), j'entends par là la lecture.
C'est ainsi que dans le cadre de mon travail je décidai pour tuer l'ennui d'ouvrir cette "apologie des oisifs" que Mr Stevenson nous a pondu. J'avoue d'abord tout de suite avoir trouvé une certaine jubilation à l'idée qu'on me paie pour un travail qui à cet instant était relégué dans les profondeurs abyssales de mon cerveau.
Bref, pour en revenir au sujet principal, j'ai vraiment adoré ce livre qui m'a permis de mettre des mots sur ce que je ressens quand je rencontre des gens qui non contents de pourrir la vie de leurs proches, en font de même avec nous en nous extirpant en permanence de notre vertueuse paresse sous le prétexte stupide que le temps passé à ne rien faire est dans l'absolu du temps perdu. Qui n'a jamais remarqué à quel point le temps passait vite quand il était occupé à travailler alors qu'au contraire l'oisiveté est propice à la dilatation du temps et de l'espace.
Le rôle social dont on nous bassine sans arrêt se scinde en deux catégories: l'un est une absolue nécessité vitale pour certains qui voit dans le travail une source inextinguible d'épanouissement, de promotions etc Ceux là sacrifient aisément leur couple pour quelques heures supp. au nom de la sacro sainte entreprise; disons le tout de suite ceux là rateront à tous les coups la vie, du moins celle qui se voit avec des yeux grands ouverts, exposés aux vents de l'hiver et à la malice aimante d'une femme qu'ils ont aimé..un jour.
L'autre est guidé par une nécessité purement vénale et là dans ce cas, la vénalité est une vertu car le travail est considéré dans ce cas comme un moyen (et non un but) d'atteindre le Graal qu'il s'est fixé. Dans ce cas, le travail est souvent un dur labeur quelle qu'en soit la tâche (sauf cas de plus en plus rare où l'on fait un travail qu'on aime et qu'on a choisi vraiment); ici pas d'ostentation ridicule du travail accompli, juste un homme qui courbe l'échine pour mieux épouser les contraintes du travail mais prêt à relever la tête pour jouir de la vie sitôt sorti du bureau. Celui-là en effet passera pour un fieffé fainéant ou un tire au flanc mais saura sans nul doute s'amuser d'un détail, sourire un peu à la vie et prendre avec distance et recul les affres de cette vie si étrangement détournée de son essence même.
Bravo donc à Stevenson d'avoir pondu ce petit livre qui se parcours très vite et qui nous ouvre les yeux sur ce que les "monthy pythons" appelaient The meaning of life.

Oxymore - Nantes - 52 ans - 20 août 2005