Le Fou de Dieu au bout du monde
de Javier Cercas

critiqué par Poet75, le 7 octobre 2025
(Paris - 69 ans)


La note:  étoiles
Le fou sans Dieu poursuit le fou de Dieu
Imaginons la stupeur de Javier Cercas, écrivain espagnol qui, de livre en livre, n’a cessé d’interroger le passé de son pays, lorsqu’il reçut une proposition émanant du Vatican, celle d’accompagner le pape François lors de son déplacement en Mongolie en 2023. Or, Javier Cercas le dit et le répète, il est athée et il est anticlérical. Néanmoins, il n’y avait pas la moindre erreur, c’est à lui et à nul autre que Lorenzo Fazzini, chef de bureau au Dicastère pour la communication au Vatican, demandait de bien vouloir accompagner le pape en vue d’écrire un livre, en tout liberté, sur ce qu’il lui plairait de raconter.
« Je suis athée. Je suis anticlérical. Je suis un laïc militant, un rationaliste obstiné, un impie rigoureux », affirme l’écrivain au début de l’ouvrage. Plus d’un parmi ses amis et connaissances le mettent en garde. Ne prend-il pas le risque de cautionner certaines positions controversées de l’Eglise, non seulement sur ce qui concerne les abus sexuels mais aussi sur le divorce, la contraception, l’avortement, l’euthanasie ou l’homosexualité ? Javier Cercas ne s’effraie nullement, son intention est de comprendre et d’expliquer autant que faire se peut, non pas de justifier quoi que ce soit.
Et puis, l’écrivain a posé une condition, une seule : il veut que le pape lui accorde un entretien, ne serait-ce que pendant cinq ou dix minutes. Il a une question à poser à François, une question dont il veut transmettre la réponse à sa mère. Car, si lui, Javier Cercas, est athée, sa mère ne l’est nullement, au contraire. Et sa mère, bien que très âgée et souffrant de la maladie d’Alzheimer, sa mère croit fermement qu’elle retrouvera son mari après sa mort, auprès de Dieu. La question de l’écrivain porte donc sur cet article de foi et elle revient tout au long de l’ouvrage comme un leitmotiv : y a-t-il une vie après la mort ? Sa mère retrouvera-t-elle son mari comme elle le croit ?
Mais le gros ouvrage de Javier Cercas ne se limite pas à cette seule question. L’écrivain paraît curieux de tout et, surtout, de rencontrer les acteurs de l’Eglise, où qu’ils soient, au Vatican et, bien davantage encore, en Mongolie. Sur ce qui concerne le pape François, le regard de Javier Cercas s’avère on ne peut plus judicieux et l’on se demande comment un homme se situant hors de l’Eglise peut avoir une perception aussi juste, aussi pertinente de celui qui fut élu pape en 2013, de sa dualité, lui qui, en Argentine avait la réputation d’être un homme dur et plutôt conservateur et qui, devenu pape, osa se mettre à dos les conformistes du Vatican et d’ailleurs en prônant une Eglise missionnaire, en sortie, et en exprimant sans gêne aucune son anticléricalisme. Car oui, le pape François aussi était anticlérical et pour de bonnes raisons ! Å un prêtre avec qui il discute de ce sujet, Javier Cercas dit très justement ceci : « … le cléricalisme revient à considérer que le prêtre est plus important que les autres ; mais on sait qu’il ne l’est pas, on sait que les curés et les religieuses sont des hommes et des femmes faits de chair et d’os, des gens ordinaires, qui ont des désirs et des besoins comme tout le monde. »
Le livre de Javier Cercas abonde en discussions passionnées et passionnantes avec des religieux, des religieuses, des prêtres et des laïcs, que ce soit en Mongolie ou, une fois de retour de voyage, au Vatican. On notera, tout particulièrement, les propos tenus sur la mission. Les portraits des missionnaires, hommes et femmes, œuvrant en Mongolie ne peuvent laisser de marbre. Dans ce pays, il n’y a que 1500 catholiques mais, comme l’explique très bien sœur Ana, une religieuse originaire du Kenya, il ne s’agit pas tant de convertir les gens que de partager leur vie et que d’accueillir les plus pauvres. Les conversions, s’il y en a, c’est l’affaire de Dieu, pas des missionnaires, en tout cas pas directement.
Javier Cercas, tout athée qu’il soit, perçoit à merveille ce qu’il y a de profondément juste dans les propos qui lui sont tenus par les uns et les autres, entre autres sur ce qu’est Dieu pour les croyants. Comme n’a cessé de vouloir le signifier le pape François, « Dieu est Miséricorde ». c’est l’autre nom de Dieu. Javier Cercas sait faire la part des choses, il ne se prive pas de rapporter les quelques erreurs de François mais, à son contact tout comme à ceux des religieuses et religieux de Mongolie, il a fort bien perçu que le seul remède, « la solution à tous les problèmes de l’Eglise » tient en deux mots : « Tous missionnaires » ! Ce qui suppose aussi, rajoute-t-il, un renouveau du langage : « Le langage de l’Eglise est vieux, rouillé, mièvre et généralement incompréhensible… ». Le pape d’aujourd’hui, Léon XIV, prendra-t-il ces difficultés à bras le corps ? Osera-t-il réformer la vieille institution Eglise ?