Un autre m'attend ailleurs
de Christophe Bigot

critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 27 septembre 2025
(Ottignies - 89 ans)


La note:  étoiles
Yourcenar en personne.
Si ce livre était un roman avec des personnages fictifs on le trouverait peut-être pittoresque et amusant. Ça raconte la vie de gens, richissimes, artistes et cultivés qui brûlent la chandelle par les deux bouts et vivent à la manière de hippies attardés. Mais voilà, c’est une biographie de Marguerite Yourcenar ! Biographie romancée, certes, mais l’auteur nous affirme que rien n’a été inventé. Alors ça change tout.

Au moment de son élection à l’Académie française on ne connaît pas grand chose de cette écrivaine belge. On vient de la voir pour la première fois chez Pivot quelques jours avant et on connaît seulement ses deux livres « Les mémoires d’Hadrien » et « L’œuvre au noir », que peu d’académiciens ont lus. Mais une fois élue, les journalistes vont scruter son passé à la loupe et, à mon humble avis, la malheureuse n’en sortira pas grandie.
On apprit qu’elle avait eu moult amants, qu’elle vivait en concubinage avec sa traductrice, qu’elle s’était amourachée d’un gigolo qui aurait pu être son petit-fils, que celui-ci avait lui-même un tendre ami qui faisait bon ménage avec elle tant qu’il pouvait puiser dans sa fortune pour se droguer… Bref, un mode de vie dans un entourage qui a fait sourciller quelques académiciens qui se sont dit choqués au nom de la morale et du qu’en-dira-t-on… Ils avaient oublié que ces mots n’avaient plus cours depuis Mai 68 !

Mais je pense que, même pour le lecteur qui se fiche de la morale comme d’une guigne, ce style de vie n’avait vraiment rien d’édifiant. Personnellement, quitte à être taxé de vieux paletot, je dois dire que certains comportements de notre Marguerite m’ont profondément dégoûté… Ce qui, évidemment, ne change en rien mon appréciation de ses livres.

Ce qui à mon avis sauve le livre ce sont les récits de ses voyages avec sa petite bande de courtisans. Tous les hivers elle quittait son île du nord-est des E-U pour voyager dans les pays chauds du sud, puis au Japon, aux Indes, en France et en Europe puis en Belgique à Bruges, la ville de son cœur. La description de ces voyages est remarquable : c’est plein d’aventures, les sites visités sont bien décrits, elle rencontre des gens importants, elle sort la nuit comme une jeune, elle mange à tous les plats comme elle s’abreuve à toutes les sources et on finit par oublier son mauvais caractère de sybarite égoïste et capricieuse, pour s’amuser avec elle de son éternelle jeunesse…

Ce qui m’a aussi persuadé de ne pas envoyer ce livre au rebut à plusieurs reprises, c’est son écriture, elle est remarquable ; c’est écrit au présent et ça raconte tout simplement, sans grands effets de manche, dans un style très amusant à lire. Une belle écriture devient si rare aujourd’hui que ça m’a encouragé à lire ce livre jusqu’au bout et, même si mon estime pour notre Yourcenar nationale en a pris un sérieux coup, je ne regrette pas de l’avoir lu.