Aucune nuit ne sera noire
de Fatou Diome

critiqué par Pucksimberg, le 14 septembre 2025
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Le Livre du grand-père
Fatou Diome brosse le portrait de son grand-père dans ce roman, homme qui a été un phare dans son existence. Il l’a guidée, lui a donné beaucoup d’affection, lui a enseigné une façon de voir le monde qui continue à avoir une importance dans sa vie. Dans ce roman, ce sont donc ses souvenirs avec ses grands-parents qui seront narrés. La mère de Fatou Diome sera aussi évoquée, cette femme qui l’a eue très jeune et qu’elle considère davantage comme une sœur, conférant ainsi quasiment le rôle de parents à ses grands-parents. Avec vivacité, elle évoque aussi ses frères et sœurs, son statut de femme avec une double culture et d’autres souvenirs, comme ses débuts en littérature, son premier salon du livre à Paris, la méchanceté de certains individus … Mais l’écrivaine ne tombe jamais dans le pathos et son sourire généreux transparaît même dans sa plume. C’est étrange une écriture qui sourit, mais c’est bien celle de Fatou Diome.

Le roman est organisé en plusieurs chapitres relié à un mot-clé qui figure au début de chaque section. Ensuite l’écrivaine définit ce terme et s’ensuivent des souvenirs, des impressions, des discussions qui convergeront vers cette idée directrice. Il y aura donc « l’angle de vue », les « émotions », la « variation », la « fraternité » … Ce roman est touchant car il est quasiment une déclaration d’amour à ces figures tutélaires, l’expression d’une gratitude et d’un bonheur d’avoir pu connaître ces grands-parents dont la richesse humaine est incroyable. A certains égards, le lecteur pourra penser au « Livre de ma mère » de Cohen, à « Sido » de Colette et autres ouvrages dont les parents ont été sources d’inspiration, des muses précieuses et essentielles à leur construction. Chez Fatou Diome, il y a beaucoup d’humour dans ses évocations, façon élégante de ne pas tomber dans le pathétique parfois et surtout c’est un trait définitoire de cette écrivaine. Certaines remarques sont vraiment amusantes et pleines de vie. Ses confidences sont presque conçues comme un dialogue avec le lecteur qu’elle sollicite parfois et dont elle imagine parfois les réactions.

Elle possède aussi une plume remarquable, imagée et extrêmement vivante. Elle fait partie des romancières chez lesquelles le lecteur remarque le plus de trouvailles littéraires. Certains auteurs usent de certains clichés, ce n’est pas du tout le cas de Fatou Diome qui ne cesse de multiplier les expressions originales, novatrices et surprenantes. Le roman est plutôt lent et ne repose pas sur de multiples péripéties qui font avancer l’histoire. L’intérêt est ailleurs ici. Et le style de l’écrivaine joue un grand rôle dans l’appréciation de ce roman. Fatou Diome, naturellement, raconte des pans de son histoire personnelle qu’elle essaime de réflexions toujours intéressantes et très justes. Je suis un lecteur acquis à sa cause depuis longtemps, j’aime beaucoup son écriture, son univers, son rapport au monde et la justesse de ses propos. J’ai tout de même trouvé quelques redondances parfois quand elle exprime combien son grand-père a été essentiel pour elle. Cela n’a pas créé de lassitude, mais c’était un peu répétitif même si cela correspond à l’objectif du roman. Par son roman, elle immortalise ces figures qui ont été capitales pour elle et elle leur dit combien elle les aime. L’écriture de Fatou Diome est aussi très sensible et profondément humaine.

Le Sénégal est évoqué aussi dans son roman, non pas pour donner un côté exotique, mais simplement car il sert de cadre à une grande partie du roman dans l’évocation des souvenirs. La pêche et la mer sont souvent associées à ce pays et à ses habitants, et l’écrivaine filera de nombreuses métaphores sur le sujet pour définir son grand-père et sa relation avec lui. Les origines sénégalaises se perçoivent même dans les images et le ton utilisé par l’écrivaine, sans pour autant réduire ce roman à un univers africain, car la portée est bien universelle et intemporelle.

C’est toujours un grand plaisir d’embarquer dans l’univers de Fatou Diome.