La nuit au coeur
de Nathacha Appanah

critiqué par Poet75, le 10 septembre 2025
(Paris - 69 ans)


La note:  étoiles
Bouleversant!
Le mot « féminicide » a beau être couramment employé de nos jours, il n’est pas certain du tout que ceux qui le lisent ou qui le disent soient conscients de ce qu’il inclut. Pour beaucoup, c’est un mot de fait divers et rien de plus. Une femme a été tuée par son mari ou son compagnon. C’est un féminicide. Nous lisons cela et nous passons à autre chose.
Pour Nathacha Appanah, une telle désinvolture ne peut être de mise. Chaque féminicide, pour elle, est comme un coup de couteau au cœur ou une nuit, comme l’indique le titre de son ouvrage, et ce d’autant plus qu’elle fut elle-même à deux doigts de périr sous la rage de l’homme avec qui elle vécut durant plusieurs années alors qu’elle était très jeune.
Avec La Nuit au cœur, l’écrivaine et journaliste mauricienne Nathacha Appanah propose un ouvrage qui est bien davantage qu’un simple livre tant elle y a mis de son esprit et de sa chair et des tourments qui la possédèrent et la traversent encore. Et elle le fait non seulement en évoquant sa propre histoire mais aussi celles de deux autres femmes qui furent, elles, réellement tuées, assassinées par l’homme avec qui elles vivaient. Si elle l’avait pu, nul doute que Nathacha Appanah aurait souhaité retracer l’histoire de toutes celles qui subirent le même sort tant elle a à cœur non seulement de donner un nom mais un visage et une histoire à ces femmes-là.
La Nuit au cœur nous empoigne dès les premières pages : trois femmes y sont décrites en train de courir. Non pas parce qu’elles font un footing mais pour tenter d’échapper à un poursuivant, un homme, un mari, un compagnon qui n’est autre qu’un prédateur vorace qui a juré de les assassiner. Ces hommes-là, Nathacha Appanah ne les désigne, tout au long de son ouvrage, que par leurs initiales : HC, MB et RD. Le premier est journaliste et poète. Le deuxième travaille dans une entreprise du bâtiment ; c’est un beau parleur. Le troisième travaille comme chauffeur dans un ministère. Tous trois se sont juré de tuer celle dont ils ont fait leur proie.
Elles, par contre, sont désignées par leurs noms. L’une d’elle est l’autrice de l’ouvrage, Nathacha Appanah, la seule qui a réussi à ne pas être tuée. Une autre se nomme Chahinez Daoud et elle fut brûlée vive par son compagnon en pleine rue, près de Bordeaux, en 2021. Quant à la troisième, Emma, c’est la cousine de l’autrice, tuée par son compagnon sur l’île Maurice, en 2000. Ces histoires-là, ces histoires tragiques, Nathacha Appanah les évoque à l’aune de sa propre histoire, elle qui se jeta sous la coupe d’un homme violent et dominateur durant les années 90, depuis l’âge de 17 ans jusqu’à celui de 25 où elle échappa de peu à la mise à mort que celui-ci avait programmé.
Sa propre histoire, Nathacha Appanah la retrace sans fard, racontant comment elle quitta son milieu familial trop étriqué pour se livrer à un homme bien plus âgé qu’elle qui en fit petit à petit mais inexorablement sa chose, son objet, son esclave jusqu’à la déposséder complètement d’elle-même. Seul un instinct de survie, resté au fond d’elle-même, lui permit, en fin de compte, après plusieurs années de terreur, d’échapper aux griffes de son bourreau.
Malheureusement, ni Chahinez ni Emma ne purent, quant à elles, se libérer de leur destin tragique. Ni l’une ni l’autre ne furent uniquement des victimes pourtant, elles se battirent, essayèrent de se sortir du piège mortel dans lequel elles étaient prises. Nathacha Appanah se fait un devoir non seulement de leur rendre justice mais de leur rendre un visage et une personnalité authentiques et non pas déformées par les rumeurs ou les sentences médiatiques. Il faut rappeler la complexité de ces histoires et de ces vies pour comprendre pourquoi ces femmes n’ont pu se délivrer entièrement de l’emprise de leur prédateur, le pire survenant lorsque, par le moyen d’une inversion révoltante, on se met à soupçonner la victime tout en excusant l’assassin. Non seulement Nathacha Appanah donne un visage à des femmes massacrées mais elle n’oublie pas d’épingler les défaillances de la justice, des services sociaux et de certains policiers. Son ouvrage est une plongée nécessaire dans l’enfer des violences conjugales tout en étant une mise à nu des responsabilités, d’une certaine façon de la société tout entière.
Angoissantes violences conjugales 10 étoiles

Cette immense auteure se focalise sur les violences conjugales dont 3 femmes font ici l'objet, victimes de leur partenaire.

Le destin semblable de ces victimes est raconté de façon entremêlée, qu'il s'agisse de la narratrice, seule survivante de ces cruautés masculines, tandis que sa cousine Emma sera percutée puis écrasée par son mari à bord d'un véhicule de fonction à l'île Maurice ou de Chahinez Daoud brûlée vive à Bordeaux-Mérignac après avoir été, lors de sa fuite, immobilisée à coups de carabine.

L'oppression par l'emprise malfaisante d'un homme imprègne ici toutes les pages : brutalités par les paroles, par les actes, par le sexe, ou lors des courses poursuites, et ce, dans un contexte de surveillance jalouse et possessive.

Avec pudeur et intelligence, les souffrances subies sont dans ce roman décrites de manière poignante : elles mèneront, selon un scénario identique de mainmise totale, sur un chemin de mort irréversible.

De manière surprenante, le lecteur capté, captivé, quasiment transfiguré par la brillante description de ces 3 drames, se découvre lui-même témoin tragique et impuissant devant un mécanisme de mise à mort.

Un grand roman, tristement réaliste ...

Ori - Kraainem - 90 ans - 13 octobre 2025