L'arrache-soeur
de Christine Payeux

critiqué par Débézed, le 27 août 2025
(Besançon - 78 ans)


La note:  étoiles
Délire macabre
Dans ce roman qui en évoque un autre fort célèbre, la narratrice se glisse dans la peau d’une femme qui raconte, en un long soliloque, l’histoire qu’elle a vécue, qu’elle a peut-être vécue, qu’elle pense avoir vécue, qu’elle ne sait plus trop bien si elle l’a vécue et, le cas échéant, comment elle l’aurait vécue. . J’ai lu ce texte comme le récit d’une femme qui émerge après une longue absence : coma après un AVC, un infarctus, un choc émotionnel très violent ou un choc physique particulièrement traumatisant, qui voit des images, des sons, des scènes que rien ne relie entre elles ou qui se relient artificiellement pour construire une histoire pouvant avoir une certaine crédibilité.

Cette femme avait presque terminé ses étude de médecine quand elle a épousé le directeur de l’usine que son père avait fondée et dont elle a hérité avec sa sœur mais dont son mari s’est plus ou moins accaparé pour la développer et en faire une machine à gagner de l’argent. Ce qu’il aime par-dessus tout. Gagnant beaucoup d’argent, il estime que sa femme n’a pas besoin de travailler, qu’elle doit veiller scrupuleusement à la bonne tenue de la maison. Elle est soumise à son bon vouloir qu’elle ne contrarie jamais pour vivre dans le calme et la sérénité mais dans un enferment complet dans sa maison et dans son emploi du temps. Il ne lui reste que ses deux petites filles qu’elle garde à la maison, sa fille, à elle, s’éloigne d’elle de plus en plus, son fils travaille loin et elle ne supporte pas sa sœur qui est trop différente d’elle.

La situation explose le jour de son anniversaire, le jour de ses soixante ans, au moment de servir le gigot, elle hurle, crie, conspue tous les convives, vidant toute la rancœur et toutes les frustrations qu’elle a accumulées depuis qu’elle est mariée. Est-ce le choc provoqué par cette explosion qui a provoqué cette perte de conscience et de mémoire ? J’aurais tendance à le supposer mais rien n’est réellement définitif ni affirmé dans ce texte tout est supposé seul existe cette femme qui raconte une histoire qui semble bien peu réelle. Peu crédible mais qui existe cependant à travers la douleur que la narratrice exprime. Elle pense avoir tué ses deux petites-filles parce que leur mère, sa fille, voulait les lui reprendre comme si elle craignait que sa mère soit atteinte de folie ou d’une autre affection pathologique.

L’auteure laisse les lecteurs dans le flou, dans l’incompréhension de ce qui a pu être ou ne pas être, lui laissant la seule certitude que son héroïne a subi un profond traumatisme qui l’a entrainée dans le délire de ce soliloque sans qu’ils puissent démêler le vrai du faux, le vécu, de l’inventé. Mais, l’important est bien de comprendre la condition de cette femme dominée par son mari, de plus en plus délaissée par ses enfants et incomprise par sa sœur qu’elle ne supporte plus. C’est l’histoire d’une femme frustrée, humiliée, rabaissée qui a explosé, qui aurait pu exploser, peu importe tout réside dans ce qui l’a amené à cette situation ou qui aurait pu l’amener à cette situation.

Cette femme est peut-être folle, peut-être traumatisée, peut-être amnésique, …, elle répète sans cesse ce qui semble l’avoir le plus marqué : mon mari est Directeur de l’usine Cendrillon et Cie qui fabrique des talons et pointes de chaussures (comme pour bien marquer la puissance de cet homme qu’elle ne peut pas affronter), les corneilles qui l’agressent en se fracassant sur les vitres de son salon (métaphore des idées noires qui la hantent sans cesse). C’est un peu le mythe de Médée revisiter à la sauce de la condition féminine au XXI° siècle.