Les jours viennent et passent
de Hemley Boum

critiqué par Pucksimberg, le 26 août 2025
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Un roman fort et réussi
Hemley Boum a rédigé un roman fort, passionnant et éclairant. Le lecteur suit de nombreux personnages dans ce roman qui couvre plusieurs décennies essentiellement au Cameroun. Anna, malade, se sait à la fin de sa vie, elle se remémore sa jeunesse, sa vie d’adulte et ressent un besoin urgent de tout raconter. Il y a aussi Abi, sa fille, qui se dispute avec Julien, son conjoint. Max leur fils est, comme beaucoup d’adolescents, perturbé et révolté par la séparation de ses parents. On suit aussi ce dernier avec ses trois amis retrouvés au Cameroun quand il faudra qu’il respire loin des disputes de ses parents. L’Histoire percute forcément tous ces personnages qui ne peuvent se construire et vivre en faisant abstraction des événements : guerre de libération, les maquisards, l’islamisme, Boko Haram, les attentats … La vie y est dure et les personnages sont secoués par l’actualité violente.

Ce roman est captivant car l’écrivaine possède une belle plume et parvient à nous faire suivre de nombreux personnages. La plupart d’entre eux sont attachants et ont un caractère bien défini. Ils sont pleins de vie et il y a une véritable entraide entre les femmes qui partagent les mêmes douleurs. Elles élèvent leurs enfants véritables, mais accueillent aussi à bras ouverts d’autres enfants dont elles s’occupent comme les leurs. La notion de famille semble redéfinie en Afrique et paraît moins réductrice qu’en Occident. Les femmes n’ont pas la vie facile, elles peuvent être mariées très jeunes, sont la cible de viols et quand les islamistes prendront le pouvoir elles deviennent littéralement des esclaves, voire des armes de guerre ce qui les déshumanise. Le patriarcat exercice un effet toxique sur ces femmes. L’écrivaine attire notre attention sur ces faits, douloureux et durs, mais qu’il faut dépeindre. De la même façon que la littérature concentrationnaire a donné à voir les horreurs des camps, ce roman qui n’est pas pour autant un témoignage permet de mesurer et de prendre conscience des horreurs commises au Cameroun.

Certaines scènes sont dures dans les faits, mais Hemley Boum ne se complaît pas dans l’horreur. Il n’y aura donc pas de longues descriptions horribles. Les faits sont dits et c’est plus davantage notre imagination qui fera le reste. Et puis comment décrire cette réalité sans nommer les actes répréhensibles ? Hemley Boum défend des valeurs humaines de solidarité et d’amitié. Elle interroge aussi le rôle des Occidentaux dans certaines situations, évoque même parfois l’absurdité de certains épisodes, déplore le fait qu’il y a actuellement une hiérarchie entre les peuples. Les attentats qui se sont déroulés en France ont été très médiatisés, alors que ceux subis au Cameroun ont provoqué moins d’empathie et de soutien, sans être ignorés pour autant. Le roman permet de questionner et de voir certaines réalités que l’on ne connaissait pas.

Dans ce roman, il y a de très beaux portraits de femmes, des femmes fortes, humaines et sensibles. Derrière l’horreur, il y a aussi des moments où les personnages plaisantent. La vie en communauté est très bien dépeinte et l’on imagine bien la rivalité entre certaines femmes, les commérages, la réputation qu’il faut préserver …

« Les jours viennent et passent » est un roman fort et réussi. Il met en scène des personnages que l’on a envie de protéger dans un monde hostile. De nombreux personnages sont des figures tragiques enlisées dans un contexte qui ne peuvent pas échapper à leur condition. Hemley Boum est sans aucune hésitation une écrivaine à suivre. Les pages qu’elle a rédigées sur la littérature sont belles. Il est vrai que l’accès aux livres éduque et empêche de cautionner des choix politiques ou idéologiques détestables. L’écrivaine a conscience que l’ignorance est un terreau propice à l’éclosion de la violence et de l’obscurantisme.

Le roman a obtenu le Prix Folio des lycéens cette année.