La maison des jeux, l'intégrale
de Claire North

critiqué par Froidmont, le 7 août 2025
(Laon - 34 ans)


La note:  étoiles
La trilogie réunie
Tout va s’ouvrir sur un aveu
Sur le rapport de North au jeu,
Lieu de plaisir et de refuge
Qu’un tas de règles ignifuge
Contre cet incendie social,
Changeant, mouvant, parfois bestial.
Pour cette jeune enfant autiste
En qui germe une graine artiste,
L’apport immense des échecs
Lui permit d’être face aux « mecs »
Non plus fille mais adversaire,
Détachée du monde binaire.

Le Serpent

Qui dirait qu’une femme,
Même pas une dame,
Petite fleur bourgeoise
Silencieuse et qui toise

Ne peut être la reine
Dans une vaste arène
Où se font les empires
Et se défont les rires ?

Thene en est la preuve.
Double de North en veuve ?
Elle observe et calcule,
Avance et puis recule

Garde son avantage
Ou cède un petit gage
Avec l’œil plein de glace
Guettant le bon espace,

Puis le vise et s’engouffre.
Peu lui chaut si l’on souffre,
Seule vaut la victoire,
Les lauriers de la gloire.

Le ton tout d’abord frappe :
Le « vous » et « nous » s’attrapent,
Le narrateur se terre,
Tout nimbé de mystère.

Nous sommes personnages,
Présents dans les parages,
Peut-être des arbitres
Observant par les vitres.

Un bon point à l’entame,
Mais qui décroît en gamme,
Car aucune réponse
Ne l’éclaircit d’une once.

Cette tache est légère,
Plus lourde est la dernière.
Déroulant dans ses pages
De nombreux personnages

Perçus comme des pièces
Et brossés en vitesse,
Rien ne nous y attache,
Même Thene s’y gâche.

Ce froid qui me résiste,
Est-ce l’oeil d’un autiste ?
Claire North voulait-elle
La peindre comme telle ?

Le Voleur

Dans l’ombre et la fumée, cache-toi, je te suis.
Quand je t’aurai touché, à mon tour je te fuis.

Le plus vif de nous deux gagnera ce qu’est l’autre :
Voici ce qui est mien, risquez ce qui est vôtre.

Je mise ma jeunesse, misez vos souvenirs.
Vous en moi, je serai impossible à saisir.

Buvez encore un verre et répondez ensuite.
Acceptez-vous l’enjeu ? Oui ? Commençons de suite !

Plus encore qu’avant, on a le sentiment
Que le livre s’écrit suivant les mouvements
Donné par un paquet de cartes de rencontres.
Il va sur les chemins et se retrouve contre
Braconnier, paysanne ou un livreur de pots,
Or certaines d’entre elles ne valent pas trop,
N’apportent presque rien, semblent même futiles,
Et les romans très courts devraient fuir l’inutile.
Déjà dans Le Serpent était la volonté
D’humaniser les pièces en venant conter
Un bout de leur histoire, une ombre de la vie,
Quand même ces détails du récit nous dévient ;
Ce qui est un point faible au moins autant que fort,
Car on s’y intéresse et le récit les mord.
La gueule narrative avance et les dévore,
Quand le lecteur peut-être en demandait encore.
Il reste cependant un savoureux roman
Qui se lit vivement et agréablement.
Mais je ne sens pas bien en quoi il est utile…
Le verre sur la bague peut-être rutile,
Mais s’il n’apporte rien en valeur au bijou,
Je ne comprends pas bien ce qu’il fait après tout ;
Car Le Voleur, au fond, tout simplement avère
Ce que dans Le Serpent aisément on infère :
Les ambitions d’Argent, le joueur le plus vieux,
D’écarter du pouvoir la Maîtresse des jeux.

Le Maître

Le pion va en D4, et c’est un fonctionnaire
Grâce auquel tous les feux ne passent plus au vert.
La circulation dort, la ville est comme enclose,
La cible est entourée de barreaux lumineux.

Le cavalier le prend, troupe de mercenaires
Qui coupe le courant, alors plus un éclair,
L’obscurité partout, grande cape morose.
La cible s’est enfuie dans ses plis tortueux.

La tour se positionne, un ancien militaire
Retiré à regret du nombre de ses pairs ;
Chasseur de prime alors, belle métamorphose !
Par un fusil thermique, il traque, consciencieux.

Et la reine apparaît, elle a suivi son père.
À neuf ans elle découvre son terrible envers.
Ne disant que « Papa ? », la reine s’interpose :
La tour est désarmée, l’enfant mouille ses yeux.

Un pion prend en D4 et la ville s’éclaire.
La cible est sur le pont. Le fou vient fendre l’air :
Tout était calculé, la dynamite explose,
Cent décès, mais la cible n’est pas parmi eux.

Et le jeu continue, le plateau change d’aire,
Renversant les puissants et les plus pauvres chairs.
Sous les doigts des joueurs le monde se nécrose.
Et tourne le denier. Lui seul finit le jeu.

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C’est un final grandiose à une grande échelle,
C’est la Maison des jeux tournée par Michael Bay,
C’est une fin construite et, je trouve, assez belle,
C’est presque du Death Note qui veut moins gloser.

Mais le cœur reste mou, une fade bataille
De pions qui ne va pas incliner le plateau.
Comme dans Le Voleur, on sent bien que les mailles
Tiennent du remplissage sans aller bien haut.

Si la composition n’est pas si remarquable,
L’univers exposé est beaucoup plus prenant ;
D’autant qu’une écriture aux reliefs admirables
Le sert superbement et efficacement.

Mais Le Maître révèle une supercherie :
Le « je » qui m’intriguait était en fait Argent.
Révélation ! Génie ? Raté ? Ou menterie ?
Toujours est-il que c’est fait maladroitement,

Car pour parler de lui la troisième personne
Coexistait avec la première toujours.
Aussitôt qu’on le sait, tous ces « Argent » résonnent
Comme des maladresses pour cacher le tour.

Sans avoir pleinement succombé à son charme,
Je ne suis pas déçu d’avoir franchi le seuil
De la Maison des jeux qui a de bonnes armes,
Même si elle achoppe sur quelques écueils.