Le long chemin du retour
de Robert Silverberg

critiqué par Poet75, le 4 août 2025
(Paris - 69 ans)


La note:  étoiles
Un roman de survie doublé d'un roman d'initiation
Inventeur de mondes, maître du récit de science-fiction ou de fantasy, Robert Silverberg situe l’action de ce roman sur une planète lointaine nommée Patria, à des années-lumière de notre Terre. Là sont arrivées, des milliers d’années plus tôt, deux vagues successives de conquérants venus de la Terre : d’abord, ceux qu’on nomme le Peuple tout simplement, ceux qui, les premiers, colonisèrent cette planète, obligeant les autochtones, ceux qu’on nomme Indigènes, à se cantonner à l’écart des nouveaux arrivants ; ensuite, les derniers venus, qui portent le nom de Maîtres, des humains qui s’installèrent sur Patria en réduisant le Peuple à l’esclavage ou, en tout cas, une partie du Peuple car on découvre, au fil de l’histoire, que tous ne se sont pas soumis (ceux qu’on nomme Cuylings). D’autres êtres encore peuplent cette planète, des animaux, mais aussi des créatures douées d’un minimum d’intelligence, les noctambulos, « créatures stupides à peine au-dessus du seuil de l’intelligence ».
Si le thème du maître et de l’esclave n’est pas foncièrement original, Robert Silverberg sait intelligemment créer des personnages qui ne laissent pas indifférent et il sait aussi décliner son sujet de manière à ne jamais éteindre l’intérêt du lecteur. D’ailleurs, le roman commence sur des chapeaux de roues, en pleine fièvre de l’action, et il ne nous lâche jamais, même quand surviennent des scènes plus calmes. Dès les premières pages donc, nous voici en compagnie de Joseph Keilloran, un adolescent, membre de la caste des Maîtres, réveillé en sursaut la nuit à cause d’une révolte des membres du Peuple, les esclaves, et devant, de ce fait, prendre la fuite, aidé en cela par une servante qui lui est restée fidèle. Ce qui complique tout cependant, c’est qu’à ce moment-là, Joseph se trouve très loin, à des milliers de kilomètres, de chez lui, parce que séjournant chez les Geften, une famille amie dont il était l’invité. Or, Joseph apprend vite que les Geften ont été massacrés, impitoyablement tués par les révoltés. S’il veut survivre, ne pas subir le même sort, il lui faut fuir, trouver les moyens de retourner chez les siens en Helikis, un continent fort éloigné du lieu où il se trouve.
Comme l’indique son titre, le roman raconte donc le long, très long périple du retour à la maison de l’adolescent, garçon en fuite, menacé de mort s’il est rattrapé par des révoltés, révoltés qui semblent avoir massacré les membres de plusieurs familles de Maîtres. Joseph doit traverser des contrées hostiles en se dissimulant autant qu’il le peut. Néanmoins, son odyssée, il ne peut la mener à bien sans le secours de certaines personnes, un noctambulo, des Indigènes et même des Cruylings, ces humains de la caste du Peuple qui sont parvenus à échapper au pouvoir des Maîtres. Ce qui rend le roman véritablement passionnant, ce qui lui donne sa force, c’est que ces rencontres avec des êtres dont il ignorait quasiment tout, n’ayant reçu à leur sujet que des enseignements faits de préjugés, ouvrent le regard de Joseph, lui font prendre conscience de son ignorance, transforment sa façon de voir. En somme, on a affaire à la fois à un roman de survie et à un roman d’initiation du meilleur goût, dans lequel un jeune héros découvre le monde, son monde, tout en surmontant les épreuves les plus redoutables, en particulier celle de la faim, le garçon devant parfois sa survie au seul recours qui est à sa portée, manger des insectes, la faim donc et le risque accru d’en mourir s’il n’était pas précisément secouru par ceux-là même dont on lui avait appris à n’attendre rien. Ajoutons à cela la maîtrise du style, l’écriture soignée d’un écrivain de talent et on ne peut qu’être totalement captivé !