Mort d'une héroïne rouge
de Xiaolong Qiu

critiqué par Paradoxe, le 17 janvier 2005
(Wavre - 68 ans)


La note:  étoiles
La Chine. ...et le policier
Dépaysement garanti! En avez-vous ras la casquette après avoir suivi (subi ?) la nième enquête d'un des multiples inspecteurs désabusés errant dans les couloirs poussiéreux du Quai des Orfèvres ou d'un sinistre commissariat parisien ? Voici alors de quoi vous décaper l'imaginaire...
Chen est inspecteur principal dans la police de Shanghai. Sa Chine est celle de 1990. Celle qui tente de cicatriser, ou de masquer, la déchirure de Tienanmen. Comme presque tout policier de roman qui se respecte, il tente de découvrir le coupable d'un meurtre énigmatique.
Situation banale ? Détrompez-vous! L'originalité principale de l'oeuvre de Qiu Xiaolong tient dans sa description de la société chinoise dans laquelle Chen tente de maintenir le cap de son éthique. L'exiguïté extrême des logements, l'époustouflante richesse gastronomique, les tiraillements d'une nation qui se cherche entre l'idéal communiste et le réalisme capitaliste forment une toile de fond étonnante. Il y est aussi beaucoup question de politique (petit p) et de Parti (grand P), de la caste des anciens maîtres du pouvoir et de leurs descendants parfois indignes.
Les personnages principaux, aux prises avec une société souvent écrasante, sont très attachants et l'intrigue décrite subtilement.
A lire, ne serait-ce que pour nous instruire, de manière ludique, de cet énorme pays dont l'influence sera exponentielle.
Les débuts d'un flic poète 8 étoiles

Paru en 2000 et traduit en français dès 2001, Mort d’une Héroïne Rouge est le premier d’une série de onze romans policiers ayant pour personnage dominant l’inspecteur principal Chen Cao de la brigade de police de Shangaï. Une ville et un pays, la Chine, que l’auteur connaît bien puisque, né en 1953, il y a vécu jusqu’à son départ pour l’université Washington de Saint-Louis dans le Missouri en 1988 et sa décision de ne pas regagner son pays d’origine à la suite des manifestations de la place Tian’anmen de 1989.
C’est donc depuis les États-Unis que le romancier a entrepris, par le biais de récits policiers, de décortiquer, autant qu’il est possible, la complexité de la Chine contemporaine. Comme il l’expliquait, dans une interview au Parisien en 2001, on peut résumer les choses ainsi : « Autrefois, le peuple chinois croyait en Confucius. Puis il a cru en Mao. Aujourd’hui, le seul idéal qu’il lui reste, c’est l’argent, et ça pose quelques problèmes. » C’est cette réalité-là que l’écrivain observe et critique de manière avisée par le truchement de ses personnages de roman et, en particulier, l’inspecteur Chen.
Membre du Parti (par obligation plus que par conviction), ce dernier, de ce fait, bénéficie de quelques privilèges, ce qui peut entraîner, on le devine, des jalousies ou des frustrations chez certains de ses collaborateurs. Dans le même temps, on comprend rapidement que tout est verrouillé et que les moindres fait et gestes des policiers peuvent être observés et produire des effets ou positifs ou négatifs. Pas facile de mener une enquête dans ces conditions, surtout quand on a affaire au meurtre d’une jeune femme sacrée « Travailleuse Modèle de la Nation ».
Bientôt, les investigations de Chen mettent à jour des réalités cachées bien moins reluisantes que celles qu’on se plaît à exposer au grand jour. Derrière les apparences, derrières les expressions ronflantes, derrière les idéaux, se dissimulent, plus ou moins bien, pas mal de turpitudes. Qui était vraiment Hongying, la femme assassinée, qui étaient ceux qui gravitaient autour d’elle et qui est celui qui s’est rendu coupable du crime ? Pour résoudre ces mystères, Chen n’est pas au bout de ses peines. Bien des embûches surviennent, la première d’entre elles se présentant sous forme d’un dilemme dont la teneur est résumée à la page 475 : « En tant qu’inspecteur principal, il était censé servir la justice en punissant tout meurtrier. En tant que membre du Parti, il savait ce qu’il devait faire. C’était la première leçon du Programme d’éducation du Parti. Un membre du Parti doit servir avant tout les intérêts du Parti. » Mais quand la justice et les intérêts du Parti se télescopent, que faire ?
Pour terminer, il faut souligner l’originalité très grande du personnage de Chen, tel que Qiu Xiaolong l’a imaginé. Car il en a fait un féru de littérature (il traduit en chinois des œuvres d’écrivains étrangers) et, en particulier, de poésie. Comme Sherlock Holmes est un mélomane et un violoniste accompli, l’inspecteur Chen voue une véritable passion pour la poésie, au point de susciter la critique de ses collègues qui le considèrent comme « trop poète pour être flic ». Et, de fait, les poèmes imprègnent tout le roman. Les citations y abondent, même parfois en pleine investigation, alors qu’on s’y attend le moins : « S’extasier sur un poème de la dynastie des Tang en pleine enquête sur un meurtre, c’était du Chen tout craché. » En fait, on comprend que, dans l’idéal, ce dernier aurait aimé pouvoir ne se consacrer à rien d’autre qu’à la poésie et que, s’il fait le métier de flic, ce n’est pas par passion mais pour pouvoir gagner sa vie. Ce qui ne l’empêche pas d’être un enquêteur obstiné, bien décidé à aller jusqu’au bout d’une affaire. Mais un flic poète, tout de même, ça ne manque pas de singularité !

Poet75 - Paris - 68 ans - 13 novembre 2020


Une vision de la Chine très réaliste 8 étoiles

Deux amis qui ne s'étaient pas vus depuis trente ans partent pêcher à l'ouest de Shangaï où les canaux sont moins pollués. Au cours de leur séance de pêche l'hélice du bateau est coincée par quelque chose. En la dégageant ils découvrent le corps d'une femme nue dans un sac plastique. L'inspecteur Yu seul enquêteur disponible se rend sur place. La victime est une égérie du système communiste, une travailleuse modèle. Vu la sensibilité de l'affaire l'enquête est confiée à la Section des Affaires Spéciales dirigée par l’inspecteur principal Chen.

Derrière une enquête dans son déroulement tout ce qu'il y a de plus classique c'est une Chine de fin de siècle en pleine mutation que nous fait découvrir l'auteur. C'est une Chine qui s'ouvre sur le capitalisme, mais une ouverture qui est en opposition à un Parti Communiste qui veut empêcher tout changement politique. Les enquêteurs dans le processus d'enquête vont être confrontés à cette politique qui veut préserver l'image des anciens cadres politiques et celle de leur progéniture. Pour cette raison l'enquête, bien orchestrée, avance très lentement.

Le lecteur a l'impression d'être lui-même projeté dans un Shanghai des années 90 et de vivre le quotidien de la population. Un quotidien très difficile pour les classes défavorisées ou en bas de l'échelle sociale très codifiée : vivre à plusieurs générations dans une seule pièce et qui ont du mal à survivre face à la montée des prix des marchés libres en pleine expansion.

Les personnages de premier plan, tout comme les personnages secondaires, sont très intéressants à suivre car ils évoluent tout au long du récit.

Le style de l'auteur, bien que trop émaillé de poésie, rend de belle manière le contexte dans lequel doivent évoluer les enquêteurs qui doivent aussi composer avec la présence d'un commissaire politique un tantinet pointilleux, mais aussi avec un coupable dont le père est un dignitaire du parti et qui n'hésite pas à faire appel aux relations de celui-ci pour tenter de faire classer l'affaire.

Une enquête bien menée, une atmosphère très bien rendue avec une description bien dosée de la société chinoise communiste mais un avec toutefois un petit bémol sur l'érudition de certains personnages qui prend un peu trop de place et n'est pas tout à fait en phase avec le reste du récit.

Goupilpm - La Baronnie - 67 ans - 17 novembre 2018


La Chine d'aujourd'hui 8 étoiles

L'inspecteur principal Chen, qui est aussi poète, est à la tête de la brigade spéciale de Shanghai. Une jeune femme inconnue a été retrouvée morte, dans un sac en plastique, dans un endroit égaré. L'autopsie montre qu'elle a eu un rapport sexuel pas forcément non consenti avant sa mort, et qu'elle a été étranglée. L'identification de la victime indique que la morte est une certaine Giang Lu, travailleuse modèle nationale. Les débuts de l'enquête montrent qu'elle fréquentait un homme marié, un "ECS" (un enfant de cadre supérieur), une sorte de caste d'intouchables, dont les mœurs n'ont rien d'irréprochables.
Dans la Chine de l'après Tian'anmen, l'inspecteur Chen va très vite se rendre compte qu'il n'est pas toujours bon de rechercher la vérité quand la cause politique, et la stabilité du Parti, sont en jeu !

Qu'il est sympathique, cet inspecteur principal Chen, dont l'ascension professionnelle, marquée par son inscription au Parti, n'a pas fait que des amis. Poète et policier, après des débuts pas faciles, il finit par bien s'entendre avec son adjoint Yu, plus âgé et expérimenté que lui.
Mort d'une héroïne rouge est un roman policier qui prend son temps. Le rythme n'est pas trépidant, ni le suspense haletant, puisque l'on sait relativement rapidement qui est le coupable. Ce qui interroge le plus le lecteur, au final, au-delà des découvertes qui ponctuent l'enquête, sans horreur ni hémoglobine superflues, c'est bien de savoir si Chen et son adjoint pourront mener l'enquête à son terme et arrêter le coupable de façon à ce qu'il soit puni !
J'ai trouvé ce roman particulièrement réaliste, aussi bien dans l'avancée de l'histoire que dans l'omniprésence du Parti dans la société chinoise. Les personnages principaux aussi bien que secondaires sont bien fouillés, et les dialogues bien ciselés, exprimant comme tant d'autres choses l'importance et l'impact du Parti dans la "nouvelle" Chine.
Au-delà donc de cette enquête sympathique desservie par une jolie écriture parfois parsemée de poèmes chinois, Mort d'une héroïne rouge vaut par l'excellence de son évocation de la Chine socialiste actuelle : la vie dans la rue, la gastronomie (qui ne donne pas très envie !), la pollution, les maisons dont les familles se partagent les pièces, Canton et son néo-capitalisme, la "rééducation" des intellectuels, la pauvreté des retraités, l'intouchabilité des "ECS"...
Cette première enquête de l'inspecteur Chen est une réussite (même si je mettrais un bémol lié au deus ex-machina de la fin), et j'en lirais sûrement d'autres !

Ellane92 - Boulogne-Billancourt - 49 ans - 7 juillet 2017


Quand est-ce qu'on mange ? 6 étoiles

Le principal intérêt de ce polar est la découverte de la Chine, sa culture, sa gastronomie et particulièrement celle des années 90 et les relations entre la population et le Parti.
L'inspecteur Chen, poète de son état et policier par on ne sait quel hasard enquête sur la mort d'une ouvrière modèle et va mettre à jour les perlier versions cachées de la société chinoise. Tout cela sans oublier de se régaler à quasi toutes les pages d'alléchants mets asiatiques.
Le livre est agréable à lire, mais parfois ça traîne un peu en longueur.

Pierraf - Paimpol - 67 ans - 30 novembre 2014


la faille 10 étoiles

Dans la Chine des années 90, sous la houlette de Deng Xiaoping et de ses successeurs, les réformes économiques vont bon train mais le Parti Communiste verrouille toute velléité de réforme politique. On continue à encenser les travailleurs modèles de la nation, comme cette jeune femme, Guan Hongying, célibataire, chef du rayon des cosmétiques dans le plus grand magasin de Shanghai, membre en vue du Parti et, comme de bien entendu, à la vie "irréprochable". Son cadavre, emballé dans un sac en plastique, est retrouvé dans un canal à une trentaine de kilomètres de la mégapole. L'enquête est menée par l'inspecteur principal Chen Cao et son adjoint l'inspecteur Yu Guangming, sous le contrôle étroit du secrétaire du Parti, qui tient par-dessus tout à en faire une affaire politique. Hélas pour ce dernier, Chen et Yu vont découvrir les dessous peu reluisants de l'affaire au bout d'une longue traque qui va les amener à côtoyer la "bonne" société de Shanghai. Le danger est grand de voir l'affaire jetée aux oubliettes et Chen va sérieusement craindre pour sa carrière, sinon pour sa vie. Ce polar magistral, écrit par un chinois ayant émigré aux États-Unis peu de temps avant les funestes événements de la Place Tian'anmen (printemps 1989), détricote le fonctionnement d'une société faisant cohabiter capitalisme et communisme dans leurs aspects les plus effrayants. Action et réflexion se mêlent pour le plus grand plaisir du lecteur, dont les papilles sont également délicieusement chatouillées par les évocations gastronomiques qui parsèment le récit. Le suspense est intact jusqu'au bout. Un très, très grand roman policier, et un témoignage de première main sur une Chine en pleine mutation…

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 7 septembre 2013


Shangai 1990 : un crime 9 étoiles

C’est un super bon policier que ce roman chinois mais c’est aussi une très intéressante chronique du Shangai des années 90.
Je me suis facilement attaché aux personnages de ces deux policiers d’état chargés d’une enquête criminelle sur la mort de l’ « employée modèle du peuple » : l’inspecteur principal Chen plutôt solitaire, consciencieux, tenace et honnête et son adjoint Yu bon père de famille, efficace et loyal.
Petit à petit, Qiu montre que la politique fait encore partie intégrante de la vie chinoise. La description de la manière dont laquelle l’enquête est menée par ces deux hommes intègres est -semble-t-il- symptomatique du moment où la Chine « émerge » vraiment des points de vue économique et (partiellement) social alors que l’influence du Parti est toujours très importante.
Les scènes « de rue » à Shangai puis à Canton nous en révèlent beaucoup sur la vie des chinois et des chinoises à ce moment de leur histoire contemporaine et nous donnent des indications sur leur quotidien dans la nouvelle société sans pourtant oublier leur attachement aux grandes valeurs traditionnelles du peuple asiatique (confucianisme).
Les inspecteurs tout d’abord antagonistes vont collaborer pleinement pour, au fil des évènements, unir leurs efforts complètement pour qu’éclate la vérité et ils vont pleinement s’apprécier malgré leurs différences.
L’enquête sera menée à son terme malgré des interventions extérieures (que vous imaginez certainement étant donné que l’assassin est une personne en vue dans l’horizon politique) et l’auteur termine son brillant roman par quelques rebondissements dignes d’un grand auteur policier. Je note aussi une palette de personnages secondaires très bien typés attachants ou repoussants mais toujours dans la vérité de cette époque dans la marche « en avant » de cette grande nation qu’est la Chine.

Ardeo - Flémalle - 77 ans - 9 juin 2013


Deux visages de la Chine 8 étoiles

Ce que j'aime dans le personnage de Chen Cao, c'est le symbole qu'il incarne, le tournant que la Chine peine encore un peu à emprunter. Un étudiant brillant devenu flic parce que c'est le Parti qui décide de la destination à prendre à la fin des études. C'est le petit protégé du Parti, ce qui ne l'empêche pourtant pas de se livrer corps et âme à son boulot alors que d'autres se plongent d'emblée dans le costume du parfait fonctionnaire.
La découverte du cadavre de l'Héroïne rouge embarrasse tout le monde, les pressions sont fortes, la Commission de discipline épingle Chen afin de l'empêcher d'enquêter de trop près sur l'implication d'un fils d'un gros ponte du régime.
Tout cela sent la Chine politiquement archaïque à plein nez.
Contraste singulier entre un inspecteur moderne et un système ancestral.
C'est comme cela que Chen prend pleinement conscience du carcan dans lequel il est emprisonné, des limites infranchissables du système, de sa vie depuis toujours orientée selon la volonté du parti. Coup dur.
A travers une enquête policière plaisante, c'est un beau portrait réaliste de la Chine qui nous est livré. L'omniprésence du régime dans la vie quotidienne est épinglée et c'est là qu'on réalise, si besoin en était, qu'il reste encore à ce pays énormément de chemin à parcourir.

Sahkti - Genève - 50 ans - 10 août 2006