L'hiver de force
de Réjean Ducharme

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 14 janvier 2005
(Montréal - 55 ans)


La note:  étoiles
Les perdants
Scénariste, parolier et romancier, Ducharme est un auteur culte au Québec, qui comme Salinger a opté pour la réclusion. Il n’est pas étonnant que son livre traite de l’isolement.

Nicole et André sont deux gagne-petit qui se coupent du monde des années ‘70, contraints par l’hiver mais surtout par choix à se vautrer dans leur turpitude. Parfaitement conscient de leur situation, le narrateur dira « Nous regagnons notre base solide : notre rêve de ne rien avoir et de ne rien faire. » Ce sont deux dépendants affectifs, attachés l’un à l’autre, aussi à Catherine, une actrice de cinéma qui est pour eux un être mythique. Bien peu d’événements viennent agrémenter le récit désordonné. Nos deux larrons perdent leur temps à regarder la télévision et à critiquer la société.

Je me suis demandé pourquoi cette œuvre avait une place de choix dans la littérature québécoise? Est-ce que le lecteur est supposé ressentir de la compassion, de la pitié pour ces personnages de névrosés?

J’ai un profond mépris pour les êtres sans ambition, buveurs de bière, encroûtés et repliés sur eux-mêmes. Je n’accepterai jamais d’adhérer à une œuvre qui fait l’apologie de la lâcheté et qui donne la parole aux plaignards. De plus, l’absence d’espoir rend le propos particulièrement débilitant. Même si il existe encore des gens de cette nature, je crois qu’il s’agit d’un roman d’une autre époque, misérabiliste et dépassé.

L’écriture de Ducharme se lit comme de la poésie urbaine brute. Elle est typiquement québécoise. Le lecteur français pourra soit la trouver totalement illisible ou « exotique » Quant à moi, je n’ai jamais été émerveillé par le métissage des mots et les anglicismes qui sont le lot de notre langage.

Un grand moment de déprime.
Cru, drôle, mais pathétique!!! 7 étoiles

Étant Québécois, j'ai bien rigolé en lisant ce roman de Ducharme. Une jolie caricature de 2 artistes ratés des années 70.
Nicole et André, nos 2 anti-héros, sont ce que l'on appelle ici de véritables taches! (traduction libre: des êtres sans travail, sans but, dépourvus de toute fierté... des loques humaines quoi!). Lorsque le coeur leur en dit, ils acceptent de corriger des documents en échange de quelques dollars. Sinon ils n'ont aucune honte à demeurer vautrés dans leur appartement minable, se confortant l'un l'autre dans ce misérabilisme.
La Toune, idole de nos 2 sans-coeur, meuble l'essentiel de leurs pensées et de leurs désirs; il faut dire que Nicole et André ne sont rien de moins que de grands dépendants affectifs, non-seulement l'un envers l'autre, mais aussi et surtout envers la Toune (une actrice), par laquelle ils sont totalement obnubilés, voir obsédés. Cela donne lieu à des scènes plutôt drôles, mais combien pathétiques!
J'ai bien apprécié cette lecture même si je ne suis pas certain d'avoir pigé l'objectif derrière tout ça. Ce qui me frappe toutefois, c'est que l'image proposée par l'auteur, ce que j'appellerais vivre sa vie par procuration, fait drôlement penser à ce que beaucoup de gens vivent aujourd'hui, 40 ans plus tard, par le biais de tous ces téléromans et télé-réalités.

Jonath.Qc - - 46 ans - 14 novembre 2012


Camisole de force 10 étoiles

Rien à rajouter au commentaire pénétrant de Libris québécis qui a très bien cerner le livre de Ducharme.
Je dirais seulement que L'Hiver de force est magnifiquement beau, encore plus que L'Avalée des avalés, surtout si on le lit à l'intérieur de l'hiver dans un appartement mal chauffé.

DomPerro - - - ans - 10 octobre 2006


Victimes des mass media 10 étoiles

L’Hiver de force est certes le chef-d’œuvre de Réjean Ducharme. Avec Gros Mots qui s’inscrit dans le même créneau que le précédent, nous avons tout l’univers de ce romancier épris de pureté. L’Hiver de force précise le point de vue de l’auteur sur la société. Une société vidée de tout contenu.

Le roman ne répond pas à un dilemme posé en préambule. Les protagonistes, André et Nicole Ferron, réfléchissent à bâtons rompus sur ce que la société leur impose. Dans leur vivoir, ils se laissent aller à un déluge de paroles à l’instar des sophistes qu’Aristote pourrait très bien condamner. On ne joue pas à des jeux de société chez les Ferron, on bavarde pour affirmer de façon redondante qu’on est des riens. Le bavardage est devenu un symptôme de la crise occidentale. Il ne reste que la logorrhée pour compenser l’impossibilité de changer le monde : « notre bag, man, c'est le bag vide! » On pourrait croire que le couple Ferron cherche un vide qu’il remplirait de paroles creuses. Au contraire, leur discours a la saveur des hippies qui criaient dans les années 1970 des « fuck the world ».

La constatation des Ferron n’est pas mieux symbolisée que par la télévision. Dans Pour comprendre les media, Marshall McLuhan écrivait que c’était un médium froid, c’est-à-dire, un médium qui évacue le mieux les réactions. Cette technologie retient les héros devant l’écran parce qu’elle leur permet d’alimenter leur velléité. On bavarde à leur place. Quand on a fait le choix de se soustraire volontairement de la société contrairement aux clochards de Paul Auster à qui on a imposé la solitude de par leur état, la télévision représente le moyen par excellence de pouvoir vivre sans le soutien des autres. On n’a jamais été aussi seuls que dans une société caractérisée par l’abondance des moyens de communication. Ils n’ont que l’apparence du rapprochement. Ils permettent plutôt de se tenir à distance sans en avoir l’air. Et par l’abondance des informations qu’ils véhiculent, ils ont la capacité de créer de l’obsolescence. Toune est le personnage qui symbolique le mieux cette dynamique. Son surnom n’est pas gratuit. Une toune (un hit) ne dure que ce que dure les hémérocalles, à peine quatorze heures. Déjà Ronsard s’en plaignait. Ce n’est pas le temps que l’on craint, c’est un temps sans mémoire. C’est la fugacité de la vie qui effraie.

Le discours du couple emprunte les tournures du périlangage du jour. Leur bagage linguistique étale les anglicismes à la mode. Ils sont high ou down comme les fans de la contre-culture. Leurs bad trips leur viennent plutôt de la bière. Pendant que l’on boit en regardant la télévision, on n’a plus besoin de penser d’autant plus qu’une info en pousse une autre, empêchant par le fait même d’organiser une logique découlant de l’induction ou de la déduction. La vitesse ne menace pas seulement ceux qui circulent sur les routes. Elle menace aussi l’esprit qui ne peut suivre la complexité de ce qu’on lui propose. Le roman de Réjean Ducharme oppose le silence à l’univers du monde médiatique. L’agitation tonitruante masque la voix du père qui pourrait guider ses enfants qui traversent le désert. En somme, L’Hiver de force est un cri qui demande au temps de suspendre son vol pour que l’on ne soit pas obligé de revêtir la camisole de force d’un quotidien accéléré qui fait de notre vie un perpétuel hiver. Bref, ce roman trace le portrait de l’homme brisé par les mass media et bientôt par l'ordinateur qui favorise autant l'isolation que la télévision.

Libris québécis - Montréal - 82 ans - 18 janvier 2005