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Des vies dans l'ombre
de Camilla Valesane
critiqué par Débézed, le 24 mars 2025
(Besançon - 77 ans)
La note:
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L'envers de Venise |
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Historienne franco-italienne spécialiste des conditions de vie des classes sociales populaires, Camilla Valesane a soutenu une thèse sur la population de Venise au XVII° siècle. Avec toute la matière accumulée pour écrire cette thèse, elle a réalisé ce roman qui évoque les conditions de vie abominables dans lesquelles les classes sociales les plus pauvres de la ville essayaient de survivre tout en contribuant à la richesse et à la splendeur de la Sérénissime. Ce roman est un véritable catalogue de toutes les misères qui peuvent s’abattre sur une population qui se démène avec courage et ténacité pour seulement pouvoir avaler un bol de soupe avant d’aller dormir dans son taudis.
Ce roman c’est l’histoire de Giovanni un enfant frioulan bien trop candide, devenu trop tôt orphelin, emmené à Venise par Daniele, un homme du même village, qui chaque hiver essaie de gagner son pain comme débardeur sur les quais de Venise. Il y emmène le jeune garçon encore adolescent et lui enseigne toutes les ficelles nécessaires pour survivre dans la ville au milieu de la faune des journaliers qui se démènent pour gagner leur pain quotidien. Mais, il ne veut pas que Giovanni devienne simple trimardeur, il veut qu’il apprenne un vrai métier où il puisse faire carrière et gagner plus décemment sa vie. Daniele rentre au village pour les moissons et Giovanni tombe entre les mains d’un autre apprenti, Zuanne, un gamin rusé, fainéant, profiteur, affabulateur, capable d’ourdir les combines les plus invraisemblables pour soutirer un quelconque profit de tous ceux qu’il rencontre même ses amis. Ainsi, il profite de Giovanni et lui soutire une partie de son salaire quotidien pour un motif des plus fallacieux.
Les deux jeunes garçons travaillent pour un orfèvre, ils polissent des anneaux, Giovanni devient vite un expert, Zuanne lui, croupit toujours dans sa fénéantise, il n’a qu’un soucis : séduire une femme pour coucher avec et ensuite en trouver une qui aura une dote à lui offrir. Avec un autre employé de la maison, ils ouvrent une boutique dans un trou à rat et finissent par se quereller jusqu’à ce que l’aîné succombe à un coup de couteau reçu dans une rixe. Les deux jeunes trouvent un emploi dans une autre maison mais le patron ne garde que Giovanni car Zuanne ne fait rien et ne sait rien faire. Giovanni vit une dizaine d’années dans cette boutique d’où il ne sort jamais. Le frère du patron finit par le renvoyer avec un bourse plutôt bien garnie pour le dédommager de l’exploitation qu’il a subie.
En ville, Giovanni rencontre, pour son malheur, son ami Zuanne qui finit par lui prendre sa bourse et ses vêtements avant qu’ils trouvent un nouvel employeur. Zuanne est toujours aussi fainéant et maladroit, il invente des histoires rocambolesques qui lui feraient gagner beaucoup d’argent mais elles ne sont que des rêves. Il est désormais marié et sa femme lui donne un nouvel enfant chaque année, c’est Giovanni qui fait vivre la famille avec le salaire de la femme qui coud des chemises. Quand Zuanne vole les bijoutier de leur atelier, ils sont chassés de leur travail et de leur taudis, un ecclésiastique leur trouve un taudis plus sordide encore que ceux qu’ils ont occupés jusqu’alors. Le froid, la malnutrition et les maladies contagieuses déciment la famille. L’épouse est décédée comme une bonne partie des enfants, les deux aînés ont quitté le domicile et deux autres sont confiés par leur mère, avant de s’éteindre épuisée, à Giovanni.
Ce livre c’est un tableau très détaillé de l’immense misère affligeant la population laborieuse de Venise qui contribue pourtant très activement à la production locale et aux commerce très prospère qui enrichissent une population vivant luxueusement dans les palais que nous pouvons encore visiter actuellement. Il permet de mesurer l’abîme qui s’étend entre ses deux classes sociales que tout sépare sauf la religion, la ferveur est peut-être encore plus vive chez les miséreux qui sacrifient souvent leur nourriture pour payer les sacrements et autres prestations du clergé. C’est aussi un grand moment de désespoir car toutes les vertus cumulées par Giovanni ne compensent jamais les vices de son ami. La splendeur de Venise est aussi construite sur la misère de toute une classe sociale laborieuse et cruellement exploitée.
Même s’il adore Venise, Giovanni rêve de plus en plus souvent des champs de blé de son Frioul natal ondulant sous le souffle du vent. Et, pour répondre à Camilla, je dirai comme elle : « qu’il reste toujours Venise mais Venise » avec son immense misère et son incroyable fatalité : pauvre tu es, pauvre tu resteras, tes prières les plus ferventes n’y feront rien ! |
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