Trilogy
de Jon Fosse

critiqué par SpaceCadet, le 9 mars 2025
(Ici ou Là - - ans)


La note:  étoiles
Une histoire en trois temps
Publiées individuellement en français(1) les trois nouvelles qui ont été réunies dans ce recueil racontent le parcours d'un jeune couple de norvégiens. Au fil du récit, nous découvrons leurs origines familiales respectives, leur rencontre, leur relation et les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

Leur histoire se décline donc en trois volets dont chacun, adoptant un angle particulier, se situe à une étape décisive de la vie des protagonistes.

Dans une ambiance trempée d'innocence, de poésie et d'incertitude le premier volet (Insomnie) nous introduit à Asle et Alida, futurs parents tous deux âgés de dix-sept ans. Fraîchement débarqués à Bjørgvin (Bergen), nous les retrouvons parcourant les rues de cette ville en quête d'une chambre à louer. Venus de la campagne et anticipant une vie meilleure dans ce nouvel environnement, les tourtereaux devront cependant composer avec, entre autres difficultés, la méfiance et les préjugés de la population locale.

Jusqu'alors sous-jacente, la tension devient palpable dès le début du second volet (Les rêves d'Olav) où nous suivons Asle (ici réincarné en 'Olav') alors que depuis Barmen où il vit avec sa compagne et leur nouveau-né, il marche en direction de Bjørgvin où il compte acheter les alliances qui scelleront leur union. En route, il est bientôt talonné par un homme qui semble apparu de nulle part et dont l'apparence étrange et le comportement menaçant signent le début d'un épisode cauchemardesque.

Enfin, c'est par le fil confus des pensées de la vieille Ales, fille d'Alida, que le troisième volet (Au tomber de la nuit) nous ramène auprès de cette dernière au moment où, en l'absence prolongée de son compagnon, elle décide d'abandonner le logis où le couple s'est installé, emportant son bébé et quelques affaires, pour partir à la recherche du disparu.

Peu complexe mais habilement contée, cette histoire est également servie par une écriture au style bien marqué. Simple, décharnée, se déroulant mot à mot en un long fil continu, la prose nous entraîne dans ses rythmes puis, telle une petite mélodie, elle s'immisce délicatement en nous, y déployant petit à petit un étrange jeu d'ombres et de lumières. Ainsi, déposé sur la page, ce collier de mots inoffensifs trace le fil d'une histoire apparemment anodine (qui n'est pas sans évoquer le fait divers), mais tandis que la prose semble flotter, glisser à la surface des choses, elle dessine dans les profondeurs du non dit, un univers inattendu.

Bjørgvin, le fjord et la mer, paysages au sein desquels se jouent les destinées des protagonistes, sont décrits avec parcimonie. Les faits sont suggérés. Le vécu des personnages n'est que partiellement évoqué.

Ainsi, en ne nous livrant que l'essentiel, en ne nous montrant que ce qui paraît, l'auteur suscite l'expectative tout en nous régalant d'un jeu de miroirs qui nous entraîne, via l'univers complexe de la subjectivité, dans les profondeurs de l'âme humaine.

Puis, tandis que les mouvements imprimés par la prose s'éteignent dans le sillage d'une conclusion laissée entre-ouverte, habités par le doute, embrouillés par les mystères quasi insolvables entourant les mécanismes psychologiques régissant les motivations des personnages, -mécanismes qui déterminent leurs actions et finalement les voies qu'ils ont choisi d'emprunter-, on sort de ce roman avec plus d'une question.

Au-delà des images ou de l'histoire qu'elle raconte, la prose de Jon Fosse et l'étonnant jeu de perspective qu'elle dessine, persiste en nous tel un écho portant la marque d'une plume et d'un style étonnants.

1. Les trois nouvelles réunies dans ce recueil sont parues en français en trois volumes ayant pour titre respectif: Insomnie, Les rêves d'Olav, Au tomber de la nuit.