Le temps matériel
de Giorgio Vasta

critiqué par Pucksimberg, le 9 février 2025
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Les années de plomb transposées dans le monde de l'enfance
Voilà un roman fort, dérangeant parfois, et superbement écrit ! C’est un roman qui nous fait pénétrer dans un monde d’adultes par le biais de trois garçons de 10-11 ans en 1978, durant les années de plomb. C’est l’année où Aldo Moro a été séquestré et assassiné. Les nouvelles à la radio et à la télé donnent de mauvaises idées à ces 3 garçons de Palerme, qui malgré leur très jeune âge, souhaitent imiter les brigadistes. Ils vont donc s’entraîner à la filature, s’inventer un nouveau langage, se forger une doctrine et pourquoi pas aller plus loin en s’inspirant de l’affaire Moro. Rayon, Envol et Nimbe, ce sont les noms qu’ils se donnent, vont donc franchir progressivement des limites que des enfants sont censées respecter. L’enfant, par définition, peut être cruel sans remords et ce sont souvent les animaux qui subissent certaines agressions. Ce point est explicitement exploité dans ce roman. Nimbe semble refléter une Italie qui pourrit. Il s’imagine souvent touché par des maladies graves et imagine son corps pourrir pour sa plus grande satisfaction. Il garde toujours sur lui du fil barbelé rouillé et s’en amuse ou s’en sert pour imprimer de petites douleurs sur les autres … C’est dire combien cet univers peut être inconfortable pour le lecteur, mais en accord avec la période dépeinte. Nimbe est pourtant captivé par la jeune Wimbow, une jeune créole qui pourrait le sauver de la noirceur de ses idées et de la violence qu’elles engendrent.

Cet écrivain sicilien possède une plume identifiable et est considéré comme l’un des meilleurs auteurs de sa génération. Il a un style identifiable : il peut mêler des passages réalistes à des passages plus oniriques qui rappelleraient quelque peu l’écrivain roumain Mircea Cartarescu. Ce sont ces passages-là que j’ai préférés, pleins de poésie et d’images hallucinantes. De plus, tout est vu par des enfants qui raisonnent et s’expriment comme des adultes. Certains lecteurs ont crié au manque de vraisemblance, mais ce roman ne souhaite pas être dans la lignée des romans de Balzac ou de Verga. Il emprunte parfois à la fable et invite à y voir une symbolique de l’Italie du terrorisme. Pour ma part, ces enfants avec une réflexion plus mature ne m’ont pas dérangé par rapport au réalisme, mais par leurs actes et la froideur de leurs actions, comme ce terrorisme qui n’engendre que des monstres.

Ce roman secoue. Il y a des pages qui sont difficiles à lire car l’auteur décrit avec précision les épisodes, même ceux qui sont empreints de violence. Le fait que les années de plomb se répercutent dans le monde de l’enfance fait réfléchir et interpelle car l’on n’a pas envie d’associer le monde de l’enfance à celui de la violence. Et pourtant … Le roman permet aussi une réflexion sur le langage, intéressante et pertinente. Derrière la fable allégorique, se cache un texte sérieux et profond. Giorgio Vasta est vraiment un écrivain à suivre qui ne produit pas des romans commerciaux ou consensuels. Le lire est une expérience unique, pas toujours confortable.