L'étoile des amants
de Philippe Sollers

critiqué par Kinbote, le 6 janvier 2005
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Sollersissime!
Philippe Sollers fait du Sollers sauf que, contrairement à une certaine époque pas si lointaine, il ne prône plus le sexe à tout va, l’hypermédiatisation, ou même l’écriture (tout le monde passe en effet à la télé, écrit et s’adonne à une sexualité de bon aloi); ce serait plutôt les vertus de la nature (il nous livre une page d’anthologie sur les violettes) et du repli. Il a choisi une femme au prénom de Maud, qui rappelle la fille du narrateur des Folies françaises, pour l’accompagner dans sa retraite sur l’île de Ré et opiner à ses dires, jeune, intelligente et qui écrit, la femme idéale selon Sollers mais ça se sent qu’elle est un pur produit idéel.

Cela s’appelle roman et on a des difficultés à y croire, tant ça ressemble plutôt un mélange d’essai et de journal voilé. Car tout en mettant en avant un personnage qui lui ressemble, il ne dit rien de palpable, de consistant sur lui qui s’attacherait le lecteur. Certes Sollers écrit facilement (trop peut-être) d’une plume sûre et brillante sur de nombreux sujets, mais hormis quelques pièces réussies (bizarrement son premier roman, qu’il a parfois renié, Une curieuse solitude, et surtout Femmes plus des particularités comme la série des Paradis), il n’aura jamais réussi à composer un univers singulier, une oeuvre à laquelle on s’identifie. Pas étonnant de la part d’un des fondateurs de Tel Quel qui est allé avec son mouvement le plus loin dans la déconstruction, amorcée par Les Nouveaux Romanciers, du roman traditionnel et qui demeure quand même un des derniers courants littéraires du XXème siècle..

A l’instar de deux de ses fondateurs, Jean-Edern Hallier et JR Huguenin (ou même De Boisrouvray), il eût peut-être mieux valu pour sa postérité qu’il meure plus tôt. Car que pourrait-on ajouter à sa notice biographique après Femmes et Théorie des exceptions, parus au début des années 80, sinon que leur auteur se sera pastiché et aura échoué à décrocher le Goncourt (il a reçu le Médicis pour Le Parc en 1961), notamment avec cette Etoile des amants un peu trop pâlichonne.
Il faut reconnaître au moins sur ce point que Sollers (de son vrai nom Joyaux) est resté cohérent en ne nous faisant pas le coup de la disparition brutale : il a toujours eu horreur du tragique et de l’apitoiement sur soi.
La vie, ses vices et bizarreries 8 étoiles

Ce livre déconcerte par le caractère hétéroclite des sujets abordés et sa rédaction en fragments, ce qui s'avère en réalité porteur de sens. Cette oeuvre commence comme un roman où un couple part en fuite, en douce et de manière précipitée. Il y est question de profiter de la vie, sans trop calculer, où le narrateur, l'homme, analyse les qualités, vertus et menus travers de sa compagne de fortune, la jeune Maud.
Puis, il dérive rapidement sur les vices et bizarreries du monde, sur ce dont il faut se méfier, se protéger, pour mieux survivre et en profiter le moins mal possible. Les étrangetés de la langue française sont également passées au crible. Il s'ensuit que cet écrit dérive, en effet, comme le rappelle Kinbote, vers une sorte de journal intime, rédigé un tantinet à la va-vite, en fonction du hasard des réflexions. En fin de course, il revient à la trame initiale, avec la description de saynètes du couple, plus ou moins anodines et intimistes, histoire de rappeler la nature et le but initiaux du propos.

Tout cela pourrait n'avoir ni queue ni tête, ce serait plus ou moins le cas, si une certaine idée de l'existence n'émergeait pas, à la fois hédoniste et désabusée. L'ensemble pourrait manquer de signification, par son côté décousu, si ce livre ne tentait pas, semble-t-il bien, de montrer que le monde n'est pas toujours sérieux et oublie souvent sa raison d'être. C'est déconcertant et beau à la fois, comme certains tableaux surréalistes, et porteur de réflexion. Il est donc intéressant.

Veneziano - Paris - 46 ans - 19 mai 2019