Le champ de glace
de Thomas Wharton

critiqué par Mae West, le 5 janvier 2005
(Grenoble - 73 ans)


La note:  étoiles
Glissements progressifs d’un ange de glace
"venez, je vais vous montrer quelque chose de véritablement extraordinaire ":
Ainsi se termine le roman de Thomas Wharton «Le champ de glace» En théorie, on ne devrait jamais raconter une histoire en révélant« le mot de la fin » mais en pratique il existe des cas d’exception, comme celui-ci où la phrase finale peut tout à fait servir d’invitation à la lecture

L’aventure commence pour le médecin anglais Edward Byrne en 1898, au Canada, sur le glacier Arcturus, par une chute dans une crevasse : Cette mésaventure, dont il réchappe sans dommage, ne perdant rien d’autre qu’un sac qui contenait des bulbes de plantes rares, scellera son destin. Suspendu la tête en bas, en hypothermie, il fera sa première rencontre avec l’image d’un ange scellé dans la glace. Il n’en parlera à personne sauf à Sara, une autochtone qui le recueille et le soigne après sa chute, en lui narrant l’histoire du village qui l’abrite, au pied de la montagne. Byrne dès lors n’aura de cesse, inconsciemment d’abord, puis consciemment par la suite, de retrouver « Sa » crevasse, en suivant la progression et la fonte du glacier
Tout au long de sa quête, l’image de l’ange, telle une apparition récurrente, scandera son parcours de pionnier d’une science alors balbutiante : la glaciologie

Au commencement est l’étonnement, comme disait (presque) Aristote, puis vient le désir : chercher, trouver, appréhender, comprendre, expliquer. De rencontre en rencontre, d’ange en ange, pragmatique, sans religion ni mysticisme, le personnage d’ Edward Byrne illustre ces hommes aux couleurs sépia des vieilles photographies qui accompagnaient les expéditions des aventuriers de cette époque : n’oubliant jamais d’emmener leur marteau à échantillons de roches, leur nécessaire à herbier, et un petit bocal pour enfermer un éventuel insecte égaré en un lieu invraisemblable.

Mais revenons à notre champ de glace : ses explorateurs taillés ou non pour l’aventure, se révèlent à leurs heures perdues peintres, dessinateurs, hommes d’affaires, écrivains, penseurs : il y a même un guide poète. Les femmes ont également une épaisseur tangible, ce monde de pionniers n’existe visiblement que par elles, présentes ou absentes sur le terrain de la montagne, mortes ou vivantes, elles sont l’âme et le cœur du roman .

On retrouve l’ambiance de l’aéropostale telle que décrite par St Exupéry, mais les héros, au lieu d’être ces quasi-surhommes nietzschéens, épousent étroitement leur environnement et conduisent leur destinée avec une force de volonté tempérée d’humilité, trempée à la fatalité des caprices de la Montagne. On y apprend aussi beaucoup de choses à propos de la glace, entre autres qu’elle est vivante.

Pour goûter amplement cet excellent roman, où les évènements se croisent et se décroisent, où les destinées se frôlent et se complètent, il faut s’immerger dans sa construction rigoureuse, déconcertante et originale, tout comme Hal, le guide poète et Freyda, la George Sand alpiniste, s’immergent dans la source d’eau chaude qui alimente la serre : là où Elspeth, la compagne de Byrne, fait pousser des lys et des orchidées : Laissons nous porter par le paysage et les évènements, allons à la rencontre des personnages à la fois exceptionnels et ordinaires qui habitent ces petits tableaux successifs regroupés par chapitres glaciaires tels que « névé » « moraine » « nunatak » sans chercher vraiment à comprendre la trame exacte du récit.
Suivons le glissement progressif du glacier jusqu’à son déclin, sa fonte, jusqu’à son extrême dénuement, son dénouement :
Edward Byrne retrouvera sa crevasse, et même son ange, sous une forme inattendue, bien entendu.