La main coupée
de Blaise Cendrars

critiqué par Yang, le 5 janvier 2005
(Lausanne - 54 ans)


La note:  étoiles
Essentiel
A l'instar de "Voyage au bout de la nuit", Cendrars nous conte la vie dans les tranchées en 14-18, sauf qu'au contraire de Céline, il était engagé volontaire. En quelque sorte un carnet de campagne de la Grande Guerre, nous plongeant dans l'ambiance de celle-ci, l'impression d'y être est surprenante.
Matricule 1529 10 étoiles

Après "L'Homme Foudroyé", "La Main Coupée" est le deuxième volet des Mémoires de Cendrars, des Mémoires un petit peu étonnantes car le bonhomme prend un malin plaisir à entremêler les périodes ; il aurait en effet été plus logique de faire un livre sur la Grande Guerre (ce qui est le cas ici) avant un livre se passant, son prologue mis à part, après la Grande Guerre (ce qui est le cas de "L'Homme Foudroyé"). Et le suivant, "Bourlinguer", se passe en partie avant la Grande Guerre !
Mais ce n'est au final pas important, et cette "Main Coupée" (qui n'est pas forcément une allusion au bras droit que Cendrars a perdu pendant la guerre en 1915...) est encore une fois un livre intense, prenant, touchant, drôle parfois, auquel je ne peux m'empêcher de donner la note maximale. Lu en une journée de fièvre de lecteur, sans pouvoir le lâcher, comme son grand frère le tome précédent, c'est un des livres (je ne parle pas de roman, ce n'en n'est pas un) les plus forts sur la Grande Guerre avec "Johnny got his gun" de Trumbo, "A L'Ouest rien de nouveau" de Remarque, "Le Feu" de Barbusse et l'oeuvre de Genevoix. Je ne cite pas le "Voyage au bout de la nuit" de Céline non pas parce que je ne le considère pas ainsi, mais parce qu'il ne parle de la Guerre que dans ses premières pages, le reste parle d'autre chose, même si la guerre y est en filigrane.
Cendrars est aussi amoureux de la vie que Céline l'était de la mort, c'est ce qu'on comprend en lisant ce livre, dont pas mal de chapitres sont très courts, plusieurs avec des titres du nom de camarades morts au front ou portés disparus, et deux chapitres sont tellement longs qu'ils en représentent presque la moitié des 430 pages du livre. Et ils en sont (et heureusement, vu leur longueur) les maillons principaux.
Mais tout est immense ici, de la visite impromptue et pas très appréciée et désirée d'un flicard amateur de poésie s'étonnant que Cendrars, en poète qu'il est, ne fasse pas la guerre pour trouver de l'inspiration à cet interrogatoire comique d'un prisonnier allemand, dans un chapitre ("Faire un prisonnier", un des deux plus longs du livre) tellement génial qu'il a été commercialisé séparément, en un petit fascicule.

Bookivore - MENUCOURT - 42 ans - 6 juillet 2021


Ecrit de la main gauche 8 étoiles

C’est le Légionnaire de 1ère classe puis Caporal, Blaise Cendrars, qui nous fait partager son expérience du feu, de cette incroyable machine à broyer … les jeunes gens que fut la Première Guerre mondiale.
En fait « La main coupée » de Blaise Cendrars est à la Première Guerre Mondiale ce que « Le dernier jour d’un condamné » de Victor Hugo est à la peine de mort. Bon, Blaise Cendrars ne fut pas le seul écrivain à relater son expérience mais son témoignage est d’une grande puissance. Articulé en courts chapitres, traitant chacun d’hommes qui furent sous ses ordres ou ses compagnons et qui, le plus souvent, périrent sous ses yeux, c’est un peu comme un kaléidoscope de l’horreur. Exhibé sur un ton détaché, avec une prise de hauteur étonnante comme s’il n’avait pas pataugé dans la boue, le sang et la m… mais qu’il avait observé ça d’au-dessus du sol, comme à l’abri dans un dirigeable.

« Je m’empresse de dire que la guerre ça n’est pas beau et que, surtout ce qu’on en voit quand on y est mêlé comme exécutant, un homme perdu dans le rang, un matricule parmi des millions d’autres, est par trop bête et ne semble obéir à aucun plan d’ensemble mais au hasard. A la formule marche ou crève on peut ajouter cet autre axiome : va comme je te pousse ! Et c’est bien ça, on va, on pousse, on tombe, on crève, on se relève, on marche et on recommence. De tous les tableaux des batailles auxquelles j’ai assisté je n’ai rapporté qu’une image de pagaïe. Je me demande où les types vont chercher ça quand ils racontent qu’ils ont vécu des heures historiques ou sublimes. Sur place et dans le feu de l’action on ne s’en rend pas compte. On n’a pas de recul pour juger et pas le temps de se faire une opinion. L’heure presse. C’est à la minute. Va comme je te pousse. Où est l’art militaire là-dedans ? Peut-être qu'à un échelon supérieur, à l’échelon suprême, quand tout se résume à des courbes et à des chiffres, à des directives générales, à la rédaction d’ordres méticuleusement ambigus dans leur précision, pouvant servir de canevas au délire de l’interprétation, peut-être qu’on a alors l’impression de se livrer à un art. Mais j’en doute. La fortune des armes est jeu de hasard. Et, finalement, tous les grands capitaines sont couronnés par la défaite, de César à Napoléon, d’Annibal à Hindenburg, sans parler de la guerre actuelle où de 1939 à 1945 - et ce n’est pas fini! - tout le monde aura été battu à tour de rôle. Quand on est là, ça n’est plus un problème d’art, de science, de préparation, de force, de logique ou de génie, ça n’est plus qu’une question d’heure. L’heure du destin. Et quand l’heure sonne tout s’écroule. Dévastation et ruines. C’est tout ce qui reste des civilisations. Le Fléau de dieu les visite toutes, les unes après les autres. Pas une qui ne succombe à la guerre. Question du génie humain. Perversité. Phénomène de la nature de l’homme. L’homme poursuit sa propre destruction. C’est automatique. Avec des pieux, des pierres, des frondes, avec des lance-flammes et des robots électriques, cette dernière incarnation du dernier des conquérants. Après cela il n’y aura peut-être même plus des ânes sauvages dans les steppes de l’Asie centrale ni des émeus dans les solitudes du Brésil. »

Blaise Cendrars, qui était Suisse, ne fut pas enrôlé, et pour cause, mais pour « casser du boche », il estima indispensable, et tenta d’en convaincre ses proches, ses amis poètes, écrivains, de s’engager pour combattre. Ce fut donc dans la Légion Etrangère pour lui.
Bien évidemment, Blaise Cendrars étant un être doté d’intelligence ne pouvait pas ne pas remarquer la bêtise fondamentale attachée à nombre d’acteurs de la chose militaire. Et notamment les gradés. Il y a des descriptions terrifiantes de cruauté, de bêtises, d’inhumaines inutilités, et puis des histoires d’hommes, d’amitiés simples, d’actes héroïques miraculeux. Il y a … la guerre quoi. La guerre racontée au ras des tranchées par un observateur exceptionnel ; Blaise Cendrars.
Il y laissera son bras droit, mais la main coupée n’est pas la sienne. Il y en eût tant et tant …

Tistou - - 68 ans - 23 décembre 2016


Humain 10 étoiles

Au moyen d'un style beau, simple, surtout pas prise de tête, Cendrars décrit la grande guerre, dédie chaque chapitre de cet ouvrage à un de ses amis du front ou à un évènement qui l'a fortement marqué. Et ce qui est formidable dans ce livre, c'est que contrairement à l'Histoire pure et dure, il comporte un côté vraiment humain. C'est terrible dans un sens car ici, on voit mieux que jamais les vies gâchées, atrocement clôturées par des orages d'acier ou des averses de grenades. Mais en même temps, la description que Cendrars fait de ses comparses est toujours très touchante. Ses souvenirs de guerre sont énormément imprégnés de camaraderie et de fraternité. Et voilà pourquoi la Main Coupée est un livre mémorable... Le texte est fort en émotion avec le recul. Il y a des hommes, simples, ça pourrait être n'importe qui, des soldats inconnus, on les voit vivre pleinement au quotidien, puis disparaître dans cette belle saloperie qu'est la guerre (pour reprendre l'expression de l'auteur). C'est tragique ; mais surtout poignant et même pédagogique.
Je le recommande sincèrement.

Benson01 - - 28 ans - 19 août 2013