Au bonheur des limbes
de Mohamed Leftah

critiqué par Pucksimberg, le 16 novembre 2024
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Un éden secret et libéré au Maroc
Le narrateur de ce roman nous conduit au Don Quichotte, bar de Casablanca, dans la « Fosse », en sous-sol où la parole et les idées se libèrent et renouent avec le plaisir. On y bavarde, on s’y montre sensuel, on se préserve des discours de l’extérieur où règne le soleil, qui semble ici renvoyer à une vérité unique et castratrice, sans doute celle qui est dictée par une religion sévère et intégriste. Dans ce bar, deux figures féminines s’imposent : il y a Warda la barmaid dont la beauté a été salie par un viol et Solange, la juive sensuelle. De façon onirique et poétique, de nombreux récits vont s’entrelacer qui témoignent d’une grande liberté dans les mœurs. L’alcool dénoue les langues et désinhibe, le narrateur aborde de nombreuses pulsions et envies, réelles ou totalement imaginées, qui ont fait sans doute froid dans le dos à des lecteurs tièdes.

Mohamed Leftah, c’est tout d’abord une plume, travaillée, poétique et imaginative qui emprunte aussi bien à la culture orientale qu’à la culture occidentale. C’est aussi un écrivain qui explore des mondes plus intimes, où le désir et les pulsions sont évoquées avec sensualité et sans limites, même lorsqu’il évoque des envies qui pourraient même déranger un lecteur occidental. Il est aussi l’auteur du « Dernier combat du captain Ni'mat », roman qui fit scandale et fut censuré, bien qu’il commence à être présent dans certaines librairies marocaines. Lire Mohamed Leftah, c’est découvrir un pan de la littérature marocaine, un peu moins médiatisé et étouffé par une aura sulfureuse. Ce serait dommage de ne pas lui rendre son mérite car il possède vraiment une belle plume pour qui acceptera de se laisser porter par son imagination.

Il cite Baudelaire, Rimbaud, Kafka, certains mythes antiques, certaines figures orientales et tout s’entrelace avec beauté et créativité. Il s’émancipe d’un discours politique qui a peut-être tendu à museler certains artistes. On en vient même à voir du courage chez cet écrivain qui ose aborder certains sujets.

Les figures féminines sont belles et touchantes. Elles semblent marquées par le seau du tragique et atteignent le rang de certaines figures féminines mythiques. L’écrivain les transfigure et fait d’elles les reines de ce lieu caché où règne la pénombre, qui paradoxalement est plus protectrice que la lumière du soleil qui devient ,quant à elle, plus dangereuse et étouffante. Il y a des allusions aussi à L’Enfer de Dante, comme si le lieu dans lequel gravitent les personnages est un lieu maudit accueillant tous les êtres dépravés. Au-delà de l’histoire ou plutôt des histoires, c’est la langue de l’écrivain qui donne toute la force à ce roman poétique. C’est la vision de l’écrivain et ce monde flottant qu’il donne à voir qui font tout l’intérêt d’ « Au bonheur des limbes ».