Écrin de brume
de Claire-Marie Bordo

critiqué par El Gabal, le 15 novembre 2024
(Strasbourg - 36 ans)


La note:  étoiles
Un recueil nocturne éblouissant
Chronique critique : Écrin de brume de Claire-Marie Bordo

Dans son recueil Écrin de brume, Claire-Marie Bordo tisse une toile hypnotique où poésie, sorcellerie, érotisme, et vampirisme se mêlent en un ballet envoûtant. Sous une plume empreinte de mystère et de sensibilité, l’autrice nous entraîne dans une traversée de la nuit — celle qui enveloppe le monde comme celle qui habite les âmes. Ce voyage nocturne n’est pas sans rappeler les Tableaux parisiens de Baudelaire, ces esquisses qui saisissent l’essence d’une modernité éblouissante et troublée, où le spleen côtoie l’éclat de la beauté fugace.

Une esthétique nocturne raffinée

Dès la quatrième de couverture, le ton est donné : « La nuit est un labyrinthe de saphir. » L’écriture, à la fois précise et évocatrice, plonge le lecteur dans une atmosphère presque tactile, où chaque sensation est amplifiée par l’obscurité. La nuit, omniprésente, devient un personnage à part entière, un miroir des passions humaines. Bordo excelle à transformer ce cadre universel en un théâtre d’introspection et d’émerveillement. Ses descriptions, entre ombres et lumières, capturent la fragilité des instants volés et l’intensité des émotions brutes.

Entre érotisme et mysticisme

L’érotisme, omniprésent dans Écrin de brume, n’est jamais gratuit. Il se lie au mysticisme et à la sorcellerie pour évoquer des rites d’initiation presque sacrés. Les corps, sublimés, sont des véhicules de connaissance, des portails vers des vérités intangibles. En cela, Bordo s’inscrit dans une tradition poétique qui célèbre l’union du charnel et du spirituel, à la manière des poètes décadents. À travers ces pages, l’amour et le désir deviennent des forces créatrices et destructrices, incarnant les paradoxes de la condition humaine.

Une réflexion sur la modernité

Comme Baudelaire, Bordo observe le monde moderne avec un regard acéré. Elle y trouve à la fois un terrain fertile pour ses tableaux et une source d’aliénation. Ses poèmes évoquent des métropoles crépusculaires, des espaces anonymes où l’individu se perd et se redéfinit. Mais là où Baudelaire plongeait dans le spleen, Bordo explore des alternatives, des échappatoires oniriques ou occultes. Son style, riche en métaphores et en oxymores, révèle un monde où la beauté et l’horreur se juxtaposent sans cesse.

La nuit comme temple de la nature et du sacré

Bordo transforme la nuit en une entité vivante, un écrin de mystères où le murmure des forces naturelles dialogue avec l’esprit humain. À travers ses poèmes, les pierres, les plantes, la forêt, les étoiles et les vents prennent une dimension presque divine, rappelant les cultes anciens dédiés aux déesses nocturnes. Lilith, figure rebelle et sensuelle, s’entrelace avec Hécate, gardienne des carrefours et des ombres, ou encore Nyx dans des visions qui célèbrent une féminité puissante et libératrice. La nature, magnifiée par des métaphores sensuelles, devient le reflet de l’âme humaine en quête d’éveil.

Une poésie passionnelle et initiatique

Écrin de brume est une œuvre profondément passionnée, où chaque poème semble une étape d’un cheminement initiatique. La nuit y devient à la fois un refuge et un défi, un espace de métamorphose où l’âme se confronte à ses ombres et à sa lumière. Claire-Marie Bordo n’hésite pas à plonger dans les ténèbres pour y déceler des éclats de vérité.

En conclusion, Écrin de brume est un recueil qui ensorcèle, autant par sa richesse thématique que par son écriture délicate et envoûtante. Claire-Marie Bordo réussit à créer une œuvre à la fois intime et universelle, où chaque lecteur pourra trouver un reflet de ses propres nuits, qu’elles soient d’errance ou de révélation. C’est un livre qui appelle à être relu, tant ses nuances se dévoilent à mesure qu’on s’y abandonne. Une réussite incontestable pour une autrice qui, en mêlant réflexion et passion, inscrit son nom parmi les voix poétiques les plus intrigantes de notre époque.