Angelo, tyran de Padoue
de Victor Hugo

critiqué par Cédelor, le 13 novembre 2024
(Paris - 52 ans)


La note:  étoiles
Un drame au temps des doges
Cette pièce de théâtre est l’une des dernières que Victor Hugo ait écrites et représentées dans la première moitié de sa vie, qui fut aussi celle du 19ème siècle ! Elle n’eût pas le succès escompté, du moins pas autant que l’auteur l’espérait.

« Angelo, tyran de Padoue » se base sur un double triangle amoureux. Cela se passe au XIVème siècle, du temps de l’inhumaine république de Venise. Pourquoi « inhumaine ? Nous y reviendrons. C’était alors une espèce d’état totalitaire et la ville de Padoue était dans son giron, à la tête duquel était Angelo, tyran donc de Padoue. Ce tyran est marié avec Catarina, belle et honnête jeune fille de la noble famille des Bagradini, mariage forcé pour des raisons de filiation, de pouvoir, d’argent, de territoire, etc. comme cela se pratiquait un peu partout dans ces temps-là, et encore de nos jours dans certaines contrées de notre planète.

Mariage sans amour donc. Mais Angelo, qui ne l’aime pas, pas plus que Catarina ne l’aime, n’en est pas moins jaloux et la tient enfermée dans ses appartements, dans une partie de son palais. La jalousie qu’il éprouve envers sa pauvre épouse ne l’empêche pas d’aimer une autre femme, une courtisane, appelée La Tisbe, d’une beauté éblouissante. Mais cette dernière joue adroitement des sentiments du tyran Angelo pour le tenir à distance et le faire patienter. Car La Tisbe ne partage pas les sentiments amoureux d’Angelo. Elle aime en fait un autre homme, Rodrigo. Cet homme, lui seul fait battre son cœur. Pour lui, elle serait capable de tout. Las, Rodrigo ne l’aime pas, aussi belle qu’elle soit. Dans le cœur de Rodrigo n’y a de place que pour une seule femme, la seule au monde qui soit son soleil d’amour pour lui : Catarina ! Et la boucle est bouclée.
Résumons : Rodrigo est aimé de 2 femmes, et n’en aime qu’une seule d’entre elles. Angelo aime sa maitresse et n’aime pas sa femme mais aucune d’elles ne l’aime. À partir de là, tout un canevas peut être tissé jusqu’à son issue, qui ne peut être que tragique, puisque Hugo en a fait une tragédie, avec tout ce que ça comporte de sentiments portés à l’extrême. Romantique, donc.

Et le lieu et l’époque où est plantée cette histoire ne pouvait être que propice à une tragédie, ceux de la république vénitienne des doges, terrifiante « république » qui n’a rien à voir avec celle dans laquelle nous vivons actuellement dans notre doux pays. Un régime de terreur y était établi par les familles régnantes des doges, qui se transmettait le pouvoir de génération en génération. Des lois propres à en faire un régime totalitaire étaient instituées. À cet égard, Victor Hugo lui-même, dans une note écrite en 1837, en réponse à des critiques qui l’accusaient d’avoir inventé tout ce système de couloirs secrets, de passages cachés et de portes dérobées exposés et utilisés dans sa pièce, avait produit des extraits de ce qui était appelé « Statuts des inquisitions d’État », sorte de décrets valant loi, curieux et monstrueux, régissant alors cette « république », qu’il avait tiré de certains écrits qui retraçait le système de cette époque, où effectivement des agents à la solde du système disposaient de clefs leur permettant d’entrer dans les appartements par des couloirs secrets et certaines portes cachées, ceci dans le but de surveiller et même de faire disparaître les personnes qui auront été désignées à cet effet, et cela dans le plus grand secret. Du jour au lendemain tel homme ou telle femme disparaissait, le plus souvent noyé de nuit, et on n’en parlait plus. Ce système détestable et ces statuts infâmes ont perduré jusqu’à ce que les armées de Napoléon envahissent Venise et mettent enfin fin à ces lois inhumaines en 1797. Un système que je n’ignorai pas mais que la lecture de cette pièce me donna l’occasion de réviser.

Pour en revenir au sujet principal et pour terminer cette critique, « Angelo tyran de Padoue » est une pièce distrayante et instructive, où l’on se prend aisément à suivre l’histoire des protagonistes de ce drame. On ne s’ennuie pas, tout est bien structuré, le sieur Hugo savait y faire et sa prose est belle, la fin tragique à souhait et où la morale est sauve. Un bon moment de lecture.