Nous sommes maintenant nos êtres chers
de Simon Johannin

critiqué par Septularisen, le 13 novembre 2024
( - - ans)


La note:  étoiles
«Et l’éternité en échange d’un jour sans chaleur»
«Si je meurs
Donne mes livres aux amis
Mes vêtements aux pauvres
Ma mémoire aux enfants
Mais garde les bijoux
Car mon âme amoureuse
Sera noyée dans l’or»

Si nous sommes plus habitués à lire M. Simon JOHANNIN (*1993), comme romancier, il est aussi poète à ses heures, et nous le découvrons ici dans son premier recueil publié en 2020.
Ce sont des poèmes parfois très cours (parfois juste quelques lignes…), en vers libres, avec une ponctuation très étonnante, puisqu’il n’y a quasiment pas de virgules et aucun point, et aucun titre. Il faut prêter une attention de tous les instants aux ellipses, aux doubles sens, aux significations cachées…

«Je vois des femmes plus vieilles cherchant de l’affection
loin
très loin
derrière le sexe»

M. JOHANNIN, nous propose une poésie simple à lire mais, très intense et remplie d’émotions. C’est «brut de décoffrage», direct, cru, parfois très violent, parfois très brutal, parfois très féroce, toujours frappant, taillé au scalpel, mais toujours très ancré dans la vie et dans le réel. Le poète ne nous épargne rien de la société actuelle (la jeunesse, la nuit, l’amour, la musique…), et de ses défauts, la violence, la drogue, l’alcool, la précarité financière…

«Des nouilles instantanées dans des bacs en plastique
Tous les jours
Un euro cinquante, c’était cher
Il allait plus loin, à meilleur prix»

Ce sont souvent des images intenses, qui traversent le ciel de nuit comme des étoiles filantes, ce sont pourtant des images du quotidien, peuplées de belles âmes:

«Je pensais à Chloé, de temps en temps
La furie s’est calmée, elle a fait des enfants

Le cauchemar que c'est, la vie qui passe
Ce soleil qui s'éteint dans l'eau froide»

Le style du poète est très visuel, il arrive à faire surgir devant nous, par flashes successifs, sa vision de la vie et de la société. On retrouvera dès lors des visions de corps furieux et sensuels, de substances plus ou moins illicites…

«L’argent qu’on te propose
Les choses que je vole

La vodka et les extraterrestres qui, tapinant,
Se claquent le cul sur mon passage

Les crinières blondes, rousses, brunes de ces génies
des rues»

La ville est là, écrasée sous le béton et le macadam, cachée derrière les vers de l’auteur, cité précaire, peuplée d’être noctambules destinés à s’échouer sur son rivage, des humains aux prises avec leurs désirs, leurs amours qui se succèdent et les brûlent à petit-feux…

«Je n’ai plus rien des mots sortis de ce rond-point
Au centre duquel nos têtes tournaient
L’une autour de l’autre
Cette chancelante ivresse de si peu de printemps

Boire était facile, aimer devait s’apprendre

J’ai mélangé le noir de tous ces ciels
Qui nous ont vus se pencher l’un sur l’autre»

«Nous sommes maintenant nos êtres chers», pose un regard sensible mais toujours très lucide sur notre époque où la passion jaillit malgré tout avec éclat…

«Les mains glissant dans ton dos dans la chaleur de juin
Je n’ai qu’un bloc de verre pour amour
Quand, sans faire exprès, tu m’as confondu dans la nuit»

Ces sont aussi des images sensuelles, gorgées d’ivresses où les lettres titubent, s’écrasent puis se relèvent. Un regard qui s’ouvre sur un monde peuplé d’anges meurtris qui s’acharnent à trouver du sens et du plaisir à leur vie. Et l’amour parfois existe, se présente avec fulgurance. Le désir de vivre finit par l’emporter sur la résignation...

«Je me souviens de cette sensation
La première fois
Et certaines des suivantes

Ce qui me trouble c’est leur fragilité
Ceux qui se font montrer le cœur
Ceux qui se confrontent à leur propre corps

Tant de mouvements que l’endroit se remplit d’eau
En une seconde, que tout le monde nage
De l’eau
Dans de l’eau
Mais on ne les voit pas
Et ils n’empêchent pas de respirer
Ils sont autour de nous
Sur l’invisible

Ainsi plus personne ne se distingue
Jusqu’au lit dévasté
Où les draps pendent des souvenirs

Le vêtement lui,
A retenu l’odeur»

On l’aura compris, une poésie d’aujourd’hui, une poésie du XXIe Siècle, une poésie pour le prochain siècle… Je finis comme toujours en laissant la parole au poète…

«Mais qui sont ceux qui, mettant autant d’énergie,
ne font que creuser des accès aux abysses ?
Désaxé comme un météore
J’y allumais mes cigarettes à l’envers

Lui aussi sortait de prison
Avec Clovis, on l’avait rencontré sur un banc
Il était comme Robin des Bois, mais sans donner
aux pauvres
Le pauvre, c’était lui

En conditionnelle, il avait jugé le temps trop beau,
le ciel trop bleu pour rentrer
Cette nuit douce et opaque
Un ami, un cuistot à la rue et un type saoul en cavale»