La Lointaine
de Emmanuel Pinget

critiqué par Débézed, le 24 octobre 2024
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Chasseurs chassés
Louison, Frégate et Beignet, trois chasseurs à la mode Tartarin, entreprennent, sous une pluie diluvienne, une partie de chasse dans les prés et forêts de leur ami Tielle qui a hérité d’un vaste domaine comprenant un manoir et les terrains qu’il l’entourent plus quelques autres bâtiments moins importants. La partie de chasse tourne vite au fiasco, aucun gibier ne semblant habiter la territoire qu’ils ont choisi d’explorer. Pour meubler leur pérégrination, ils discutent de tout et de rien, de sujets les plus divers et les plus variés qui ne récoltent pas forcément l’unanimité de leurs avis. Cette discussion est brutalement interrompue par un être bizarre mi-homme mi-singe qui ne leur annonce que de funestes nouvelles concernant leur proche avenir.

Tielle qui, lui, est resté confortablement au manoir, à l’abri des intempéries, doit faire face à l’irruption en sa demeure de la Pithie, non celle de Delphes mais Magda qui hante la forêt du domaine et profère des auspices ténébreux en déversant un torrent de rage en des mots orduriers et cruels. C’est elle qui dirige les messagers du malheur qui hantent le domaine : la Vladimir la factrice, l’orang outan, la Hallebarde, Joe le Shoshone, le Parcimoine et d’autres encore. Tout un peuple d’êtres plutôt improbables, messagers des forces du mal et de la forêt agressée par les hommes surtout les chasseurs.

Ce texte est une suite de sentences, d’aphorismes, de condamnations, …, proférés par des êtres burlesques qui semblent constituer une sorte de jury qui décide de la responsabilité de chacun dans la destruction de la nature et de son peuple, et des punitions qui doit leur être infligées. Comme une métaphore de notre société actuelle condamnée à un avenir apocalyptique de notre planète, comme un jugement dernier écologique, comme une ultime punition…

Ce roman dont la forme est très contemporaine, tutoie le genre fantastique et burlesque, l’univers gothique et propose aussi quelques passages poétiques en vers ou en prose dans un langage d’une belle richesse. Les personnages burlesques qui colportent des nouvelles inquiétantes, évoquent le monde des réseaux sociaux et des télévisons du câble qui véhiculent des informations anxiogènes dans un langage pas forcément très châtié. Un possible revenu conséquent et imprévu permet à l’auteur d’aborder l’univers de l’argent facile qui suscite l’appât du gain. Par ailleurs, il ne peut cacher qu’il a glissé dans ce texte une satire grinçante du monde de la chasse et du comportements des chasseurs.

L’auteur cite Cioran moi j’ai eu l’impression qu’il a certainement lu des romans de Brautigan, de Beckett ou d’autres auteurs maîtres en littérature burlesque dont j’ai ressenti l’atmosphère dans ce texte. Il accorde également un grande importance aux mots : « Il n’y a rien entre toi et moi / d’autre / que des mots. / Et une accolade avant la mort ».