Fragments du jour
de Marc Dugardin

critiqué par Fee carabine, le 30 décembre 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
"Le beau chant mage et enchanteur"
Au moment de refermer ce mince recueil, je voudrais juste laisser s'éteindre l'écho éveillé par le froissement des pages, laisser le silence se déposer, comme la lie au fond d'un verre, sur ces "riens" miraculeux que sont les poèmes de Marc Dugardin. Comment trouver les mots pour décrire les rêves, les songes et les pensées, fugaces et lumineuses, auxquels ces poèmes ouvrent la porte, à moins d'emprunter ces quelques lignes de Sylvie Germain:

"Mais Prokop rêvassait en ce lieu plus encore qu'il n'y lisait, car un rien mettait sa lecture en suspens. Ces riens qui le détournaient, de longs instants, du livre dans lequel il était plongé n’étaient pas étrangers à ce qu'il était en train de lire; au contraire ils se trouvaient à l'intérieur même du texte. (...) La beauté abrupte d'un vers, la force expressive d'une image, d'une phrase, la surprise créée par le déplacement ou l'inversion d'un mot, l'heureuse trouvaille d'une métaphore ou la concision d'une réflexion suffisaient à rompre le fil de sa lecture et à mettre son esprit en arrêt, et bientôt aux aguets. Aux aguets d'un sens jusqu'alors insoupçonné, d'un charme aussi discret que profond émanant de telle ou telle expression. Alors sa pensée se mettait à baguenauder, à battre l'immense campagne du langage, des choses et des images, et à défaut de saisir une idée précise, il dévidait d'interminables songes.

Ces détours et digressions, loin de détacher Prokop du texte interrompu, l'y ramenaient avec plus de force et de pénétration. Il rentrait dans le livre comme on s'enfonce dans un sous-bois ombreux et odorant. Il rêvait à l'intérieur des mots, dans l'épaisseur de leur chair bruissante d'échos, d'assonances, de souffles, dans la saveur de leur chair pleine de plis et de replis." (in "Immensités" p. 32)

A l'égal des strophes du "Kalevala" ou des vers de Bedrich Bridel qui ouvrent l'âme de Prokop Poupa, "aux noces des mots avec l'espace entier du ciel et de la terre" et au néant de l'existence humaine, les mots de Marc Dugardin, avec la légèreté du songe, ouvrent des portes dans l'esprit de leur lecteur pour laisser entrer l'émerveillement d'un instant de grâce, le son d'une voix, d'un archet sur une corde ou la tendresse rayonnante de la "Vierge de Pitié", madone de pierre aux traits usés par le temps et les intempéries:

et lorsque les voix se sont élevées
tu as su que ce n'était pas
pour maudire - et si elles tremblaient
que c'était seulement d'une très longue
errance et qu'enfin elles atteignaient
le seuil et que toi aussi tu serais
dévisagé
("Mouvements", p. 15)


du silence inviolé
personne ne serait
revenu

alors la main saisit
l'archet comme
on assume la naissance
comme on s'engage
jusqu'à l'extrême
du songe de vivre
("Séquences", p. 19)


à peine des mains jointes
à peine un moignon
de pierre
et à peine
à peine ce visage
ce oui murmuré
quand la question
à jamais s'est perdue
("A la Vierge de Pitié", p. 63)



Des textes de toute beauté, ayant la légèreté du songe et la densité de la chair. Des textes à rêver plutôt qu'à lire... Et une belle présentation - très sobre - que celle des éditions Rougerie qui laisse encore au lecteur le plaisir de couper les pages, ce qui contribue aussi à une découverte pas à pas de ces très beaux textes de Marc Dugardin