Mille images de Jérémie
de Clément Ribes

critiqué par Pucksimberg, le 11 octobre 2024
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Reconstruire le portrait d'un être aimé
Dans ce roman, fractionné en plusieurs chapitres, segmentés en plusieurs paragraphes numérotés, le narrateur cherche à reconstruire l’image de Jérémie avec lequel il est sorti et dont l’image est fuyante. Comme des photos de polaroid, ils cherchent dans ses souvenirs ce qui pourrait définir ce garçon dont il ne connaît pas grand-chose en réalité. Le narrateur semble avoir été marqué par cet homme, sans doute une peu plus que ce dernier. Cela illustre assez bien l’idée que l’on ne connaît jamais vraiment bien son conjoint ou sa conjointe. Ici, il serait difficile de parler de couple, vu les zones d’ombre de ce binôme et le fait qu’ils ne se voient pas constamment.

Cette œuvre fragmentaire peut surprendre avec ces paragraphes numérotés. Le lecteur a l’impression que ce sont les pièces d’un puzzle qui permettront de mieux saisir ce qu’est un homme. Sans doute tous les êtres humains sont aussi insaisissables que ce Jérémie. L’écrivain parsème son roman de pensées qui invitent à la réflexion dans un style élégant et imagé : « Nous avons dans l’oreille tout un vacarme de souvenirs et de sons ; nous avons des bruits de mers et des bruits de feu, des bruits de vents et des bruits de morts ; des larmes des pleurs et des orgasmes ; des rires. Nous avons de chaque côté de la tête des conques où tous ces bruits sont enroulés pour toujours sur eux-mêmes, et nous les entendons oui. » Amoureux du style, je reconnais que l’écriture de l’auteur m’a plu. Certains paragraphes sont descriptifs, d’autres narratifs. Certains sont des pensées, d’autres des maximes. L’addition de tous ces paragraphes donne naissance à un roman intéressant, original et accrocheur.

J’ai eu parfois envie de secouer ce narrateur pour qu’il passe davantage à l’action, questionne Jérémie plus souvent, lui fasse des reproches quand cela était nécessaire. Il y a une résistance ou une certaine fascination qui paraissent le paralyser. Il y a quelque chose de mélancolique qui se dégage de ce roman, une atmosphère qui pourrait angoisser le lecteur qui s’est sans doute lui aussi séparé un jour d’une personne qu’il aimait. On peut donc se retrouver dans ce manque et dans cette prise de conscience qu’on connaît mal les gens qu’on aime.

Clément Ribes ne cherche pas à embellir son histoire. Ses personnages ont des défauts, leurs appartements puent la cigarette, aucun romantisme dans leur relation. Les désirs explorés dans certains lieux répondent aux besoins les plus enfouis des individus. Jérémie et le narrateur sont présentés sans fard et cette mise à nu a quelque chose de moderne et de vrai. Le style et la construction du roman restent pour moi les deux points forts de « Mille images de Jérémie ».