Impossibles adieux
de Han Kang

critiqué par Alma, le 10 avril 2025
( - - ans)


La note:  étoiles
Un monde hanté par les fantômes du passé
Giengha, ex journaliste et romancière coréenne vivant dans l'ile de Jeju reçoit un jour un SMS de Inseon, une amie photographe et documentariste avec laquelle elle avait un jour collaboré lui demandant de venir à Seoul où elle a été hospitalisée d'urgence .
Là, Inseon l'implore de revenir toutes affaires cessantes dans l'ile de Jejju pour y nourrir un couple de perroquets auquel elle est très attachée

Gienjha effectue donc un aller et un retour entre île et continent, deux trajets pleins d'embûches en raison d' une forte tempête de neige qui paralyse la Corée . La maison de Inseon est isolée, inconfortable , glaciale, sans eau ni électricité , plombée dans le silence des congères .

L'évocation des nombreux paysages de neige se fait dans écriture multisensorielle , irriguée de nombreuses métaphores qui confèrent à cette première partie du roman une forte dimension poétique.

Voilà pour la première partie du roman . La seconde partie plonge alors brusquement sans aucune préparation le lecteur dans une autre dimension ; à la fois historique et onirique .

Celle d'un passé vieux de 70 ans : celui d'un génocide dont les faits n'ont été reconnus qu'en 2014, commis par les troupes américaines sur plus de 30 000habitants de l'ile de Jeju, parmi lesquels des membres de la famille d'Inseon .
Se mêlent une narration sèche et circonstanciée des faits basés sur des documents, et celle beaucoup plus floue des souvenirs qu'en ont gardés ceux qui ont échappé au massacre, qui les ont transmis à leurs descendants et qu' a recueillis Inseon .
La lecture de cette seconde partie où s'interpénètrent fantômes des morts et monde des vivants m'a paru bien déstabilisante, mais m'a laissé une forte empreinte émotionnelle .

Une belle et inoubliable expérience de lecture, mais un peu déstabilisante .
"Ce n’est pas une suite de hasards si trente mille personnes ont été massacrées sur cette île cet hiver-là, et deux cent mille sur le continent l’été suivant." 8 étoiles

Inseon est hospitalisée d'urgence. Elle s'est blessée à la main et se retrouve à Séoul. Elle demande à son amie Gyeongha de s'occuper de son perroquet blanc. Mais le volatile loge sur l'île de Jeju, ce qui implique qu'elle devra prendre l'avion pour s'y rendre et le temps n'est pas clément. Elle y arrive en pleine de tempête de neige. Arrivée sur les lieux, elle sera confrontée à des documents qui l'attendent et qui éclairent le passé de la famille d'Inseon. Ce passé est triste et peu connu du plus grand nombre. En effet, il est question du massacre de civils en Corée entre fin 1948 et début 1949 qui a vu mourir 30 000 civils ...

Le roman oscille entre onirisme et récit historique. Han Kang est parvenue à trouver un savant équilibre entre deux types de narration en apparence opposés afin d'évoquer un épisode traumatisant pour le peuple coréen. Cela lui permet aussi d'adopter le ton le plus juste pour ressusciter les fantômes du passé. Le roman semble même revêtir un caractère métaphorique avec cette neige qui persiste et cette mémoire collective qui est donnée à voir dans sa violence. L'intime se mêle au passé d'un peuple. Le roman n'est pas forcément simple à lire et demande une certaine concentration. Inseon et Gyeongha ont déjà travaillé ensemble. La première était photographe et reporter, la seconde journaliste. Le roman permet donc de poursuivre le travail de ces deux femmes en faisant lire un roman qui éclaire sur un épisode historique duquel les lecteurs ne sont pas forcément familiers. "Impossibles adieux" permet de libérer une vérité nue ou cachée. Gyengha fait de nombreux cauchemars, sans doute reflet des coréens qui étouffent sous ces souvenirs violents et cruels.

Han Kang a obtenu le prix Nobel de littérature et est en train de forger une oeuvre originale, poétique et profonde. Ce roman n'est pas toujours confortable à lire pour le lecteur mais il a des enjeux qui le rendent respectables et précieux. Une très belle plume !

"S'il existe, dans l'empire céleste ou dans celui des morts, quelque chose comme un miroir géant qui voit chacun de nos gestes et entend chacune de nos paroles, et qui les garde en mémoire comme le racontent nos anciennes croyances, mes quatre dernières années doivent ressembler, dans ce miroir, à une sorte d'escargot qui aurait quitté sa coquille et avancerait sur une lame. Un corps qui veut vivre. Un corps percé, tranché. Un corps qui repousse, qui étreint, s'accroche. Un corps à genoux. Un corps qui supplie. Un corps qui suinte sans cesse, sans qu'il soit possible de dire si c'est du sang, du pus ou des larmes."

Pucksimberg - Toulon - 46 ans - 26 décembre 2025