Le Christ vert: Itinéraires pour une conversion écologique intégrale
de Étienne Grenet

critiqué par Eric Eliès, le 5 octobre 2024
( - 50 ans)


La note:  étoiles
L'engagement écologique de l'Eglise et du pape François : forces et faiblesses
Ce livre très engagé est l’œuvre d’un prêtre du diocèse parisien, qui s’efforce de diffuser et promouvoir le projet d’ « écologie intégrale » porté par le pape François dans l’encyclique « Laudato si » appelant les chrétiens à passer à l'action pour sauvegarder la planète, notre maison commune. Dans cette encyclique publiée en 2015, dont le titre fait écho au « Cantique des créatures » de St François d’Assise, le pape dénonçait le matérialisme et le consumérisme qui alimentent les inégalités sociales et la destruction de la planète (pollution globale, surexploitation des ressources, effondrement de la biodiversité, réchauffement climatique, etc.).

Ce livre n’est qu’un des leviers d’action d’un projet plus vaste, qui comprend des groupes de parole, un site internet, etc. afin d’influencer le débat public. Néanmoins, la lecture du livre est essentielle pour comprendre la thèse du « Christ Vert » postulant que le monde moderne, y compris le monde chrétien, a perdu le sens originel du message christique, qui était à la fois humain, social et cosmique. L’effort à fournir est important car il s’apparente à une nouvelle conversion, au terme d’un itinéraire spirituel que l’auteur (le Père Etienne Grenet) encourage à mener en soi-même et en groupe pour en propager le message. En ce sens, le livre assume une importante dimension missionnaire, qui pourra heurter certains écologistes libertaires : je pense par exemple aux Soulèvements de la Terre (dont j’ai précédemment présenté un recueil sur CL) dont l’approche de l’écologie globale – s'inscrivant dans le cadre d'une contestation radicale tout azimut (anticapitaliste, altermondialiste, féministe, LGBT, etc.) - est presque en exacte opposition avec l’approche chrétienne – plutôt portée par un désir d’ordre et d’harmonie.

Le constat initial, qui ouvre le livre, est le même que celui partagé par tous les écologistes, quelle que soit leur sensibilité politique : le monde est saccagé par les activités humaines et notre course au développement alimente des inégalités sociales et des ravages écologiques de plus en plus insupportables, qui nous mènent à la catastrophe. Néanmoins, l’analyse diffère car, pour l’auteur, qui est prêtre rappelons-le, la crise environnementale est avant tout le reflet d'une grave crise spirituelle due à la fièvre matérialiste et à la perte des valeurs chrétiennes, qui ont conduit à la dégradation des liens entre les hommes et des liens entre les hommes et le monde. Or, tout est lié puisque tout émane de Dieu. Il nous est donc nécessaire de redécouvrir le message du Christ - et de nous y convertir ! - pour retrouver l’unité de notre plénitude et rétablir une harmonie perdue avec le monde.

Le livre énonce plusieurs obstacles (la méconnaissance et le refus d’admettre la crise, l’inertie et la paresse à agir ou la résignation qui pousse au renoncement, le cloisonnement intellectuel qui conduit à des solutions partielles insatisfaisantes) et plusieurs dangers, comme des fausses routes sur lesquelles l’humanité s’est égarée. Cette partie est très intéressante car l’auteur prend soin de les détailler, même s’il est dommage que sa pensée ne soit pas davantage mise en perspective des philosophies et religions non-occidentales, qui portent un regard original sur ces questions :

- Dualisme : la séparation du corps et de l’âme a conduit à une dissociation de la vie matérielle et spirituelle et a dégradé la valeur du non-humain, rejeté dans les limbes d’une philosophie mécaniste. L’auteur insiste sur la dignité et la grâce de toutes les choses créées (les animaux, les plantes, etc.), qui est affirmée dans la Bible. L’homme, même si sa place est singulière, est une créature parmi les créatures et toutes doivent être respectées pour elles-mêmes, et non asservies à un utilitarisme économique et consumériste. La Bible a une dimension cosmique, que nous avons oubliée.

- Panthéisme : à l’opposé du dualisme, le panthéisme proclame que tout est divin. Néanmoins, cette conception, même si elle a la vertu de rétablir le monde en sa dignité, commet l’erreur de nier la transcendance en la confondant avec l’immanence, de confondre la Créateur et les créatures. Or, pour l’auteur, Dieu est plus vaste que le monde, et l’homme – qui dispose de la liberté - tient lieu de médiateur pour faire s’épanouir la Création à travers laquelle Dieu se manifeste. L’auteur, pour qui le panthéisme masque l’importance cruciale de l’homme au sein de la création, et le rôle moteur de la liberté humaine, semble parfois rejoindre la thèse de Teilhard de Chardin sur la spiritualisation ascendante du cosmos et de l’homme en chemin vers Dieu.

- Transhumanisme : le rêve de pouvoir briser les limites de l’humanité par la technologie et par l'ingénierie génétique, de peut-être pouvoir accéder à l’immortalité, ressemble à une tentative de sécularisation de l'aspiration des croyants en la vie éternelle. C’est une conception vaine qui, en tentant d’effacer notre nature de créature mortelle, nie notre ontologie.

- Antispécisme : la négation de la différence entre l’homme et le règne animal, dont l’homme est certes issu, aboutit à une négation de la spiritualité et à une dégradation de la dignité humaine. L’homme est davantage qu’un animal, car il dispose de la raison et de la liberté. Il lui incombe d’en faire usage pour poursuivre et épanouir les potentialités de la création.

En réponse à ces obstacles et dangers, l’auteur propose de redécouvrir le message du Christ, qui nous montra l'exemple parfait d’une écologie intégrale incarnée par un amour universel fait chair envers les hommes et le cosmos. Etienne Grenet promeut notamment la pensée cosmique, c’est-à-dire la nécessité de renouer avec la métaphysique et de nous penser en lien permanent avec les êtres et les choses (il cite l'exemple des Rogations, tombées en désuétude car considérées comme archaïques, mais qui symbolisaient un lien entre l'Eglise et la Terre) et la pauvreté évangélique, c’est-à-dire non la pauvreté matérielle mais le détachement aux choses matérielles. L'auteur souligne avec insistance les méfaits du capitalisme et de la finance, condamne l'accumulation cupide de richesses et la course à l'abondance matérielle, qui nous détourne des vraies valeurs. Citant les Evangiles, il rappelle que « il sera plus dur pour un riche d’entrer au Paradis que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille » parce que la richesse expose à toutes les tentations et éloigne du Bien.

Ces analyses et digressions sont vertueuses et souvent intéressantes, mais elles révèlent aussi les limites de l’écologie chrétienne. Même si l’auteur a la décence de reconnaître que l’Eglise chrétienne a sa part de responsabilité dans la crise environnementale, parce qu’elle a encouragé - en faisant de l’homme une créature élue et à part au sein de la création - l’appropriation et la soumission du monde à des fins humaines, il ne dépasse pas un anthropocentrisme qui constitue l’un des noeuds du problème. Sa vision du cosmos est assez étriquée, se limitant à la nature environnante, et ne s’ouvre pas aux grandes découvertes du XX et du XXIème siècle, qui interrogent la place de l’humanité, plus insignifiante qu’une bulle d’écume dans les flots de galaxies. En fait, on a le sentiment d’une interprétation de la crise écologique pour arriver à ériger l’Eglise en solution alors qu'elle a fait historiquement partie du problème. Ainsi, il me semble que le dogme chrétien ne doit pas être simplement réinterprété mais véritablement remis en question, ce dont s'abstient l'auteur. Par exemple, le panthéisme est étudié mais balayé parce qu’il ne correspond pas au postulat de départ, avec une argumentation trop rapide pour être robuste... Par ailleurs, le livre n’est pas exempt de certaines contradictions. Par exemple, il promeut la liberté humaine mais la condamne aussi, notamment quand elle s’exerce dans le champ intime. Ainsi, l’auteur condamne la liberté des mœurs, l’évolution vers la PMA, etc. au nom du lien naturel entre la sexualité et la reproduction au sein du couple. Ce genre d’affirmation ne pourra que susciter l’opposition de la plupart des courants écologistes qui y verront une récupération de l’écologie au nom de positions purement dogmatiques.

Au final, ce livre, qui s’appuie sur une encyclique papale, démontre que l’écologie est au cœur de la pensée religieuse actuelle. L’écologie est aussi un enjeu politique majeur, ressassé par tous nos dirigeants politiques. Pourtant, au-delà de la prise de conscience et des discours, quel progrès ? Le monde restant régi par l’économie, la spéculation financière et les rapports de force entre Etats, rien n’enraye l’effondrement de la biodiversité, le dérèglement climatique et l’enchaînement des catastrophes qu’on nous promet à horizon 2070/2080… Le mouvement du « Christ Vert », qui porte des messages forts et salutaires (notamment sa condamnation de la frénésie consumériste et de l'économie hyper-financière), mérite sans aucun doute d’être connu et soutenu mais il me semble que ce livre, de même que les « Soulèvements de la Terre » (mais pour de toutes autres raisons) ou également « La terre martyre » (où la crise écologique était interprétée, par une théologienne protestante, à travers le prisme du martyre chrétien), reste malheureusement captif de postulats idéologiques qui en limitent la portée et obèrent sa capacité à s’enrichir d’autres conceptions et d’autres nuances pour réellement devenir « écologie intégrale » à l’échelle de l’humanité.