Comment je meurs
de Peter Schjeldahl

critiqué par Poet75, le 23 septembre 2024
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
Le bilan d'une vie
À la page 13 de ce mince volume, Peter Schjeldahl (1942-2022) écrit que, vingt ans auparavant, il avait reçu une bourse du Guggenheim pour qu’il rédige ses Mémoires. Il avait préféré, ajoute-t-il, utiliser cet argent pour s’acheter une tondeuse à gazon parce qu’il ne se jugeait pas assez intéressant pour se raconter dans un livre. Pourtant, ce livre, il a fini par l’écrire ou, plus exactement, par en écrire des bribes lorsque, à l’âge de 77 ans, il apprit par son médecin qu’il souffrait d’un cancer du poumon invasif et qu’il ne lui restait plus que quelques mois à vivre. Impossible, dans ces conditions, de travailler à un livre de Mémoires en bonne et due forme, il n’en avait pas le temps, mais ce petit ouvrage de quelques 120 pages vaut sans doute mieux que cela, mieux qu’un récit à la Chateaubriand qui prétendrait retracer fidèlement des événements s’étant déroulés sur un grand nombre d’années. Il y a, sans nul doute, bien plus de justesse dans les quelques brefs chapitres que put écrire Peter Schjeldahl avant de tirer définitivement sa révérence.
Bien que totalement autodidacte, Peter Schjeldahl fut un éminent critique d’art du New Yorker et du New York Times mais il n’est guère question de cela dans Comment je meurs. Que peut-on écrire lorsqu’on sait qu’on n’a plus que quelques mois à vivre ? Plutôt que de se perdre en considérations oiseuses, Peter Schjeldahl va à l’essentiel et son livre adopte le ton d’une véritable confession. Pour en mesurer toute la portée, sans doute faudrait-il pouvoir le lire tel qu’il a été écrit en anglais. Mais, même en traduction française, on en perçoit les accents de parfaite franchise, exprimés rapidement, avec un sens inné de la formule, dans de courts chapitres.
« Je suis en permanence rongé par les échos, lointains mais persistants, de culpabilités terrassantes, de hontes cuisantes », écrit Peter Schjeldahl. Ce petit livre, d’une certaine façon, n’a d’autre but que de confesser ces culpabilités et ces hontes avant qu’il ne soit trop tard. Or, si Peter Schjeldahl fut un critique d’art reconnu, il n’en fut pas moins un homme qui souffrit d’addictions très sévères, un homme qui essaya toutes les drogues possibles (« sans en tirer grand plaisir », précise-t-il), puis qui remplaça les drogues par l’alcool. Il réussit néanmoins à se libérer de toutes ces servitudes, excepté du tabac.
Dans des pages saisissantes, il raconte ses addictions, mais dans d’autres, il s’exprime longuement sur son père : il passa son enfance et son adolescence, explique-t-il, à chercher l’approbation de celui-ci, puis son adolescence à chercher sa désapprobation. Dans tous les cas, le père s’en fichait !
Dans ce bilan, il est aussi question des femmes et, en particulier, de celle dont la rencontre fut pour lui déterminante, Brooke, qui lui donna, une fille, Ada. « Ma rencontre avec Brooke, la naissance d’Ada et le jour où j’ai arrêté de boire : voilà les trois jours à encercler de rouge sur le calendrier de ma vie », écrit-il.
Enfin, parmi quelques autres considérations, Peter Schjeldahl s’interroge sur le sens de sa vie, sans pouvoir exprimer aucune certitude. « C’est épuisant de ne pas croire », confie-t-il, avant d’ajouter, tout à la fin de l’ouvrage : « Dieu s’incruste, en douce ».