Fille, 1983
de Linn Ullmann

critiqué par Pucksimberg, le 20 septembre 2024
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Un récit courageux de Linn Ullmann sur les prédateurs
Linn Ulmann, fille d’Ingmar Bergman et de Liv Ullmann, raconte avec difficulté son expérience parisienne alors qu’elle n’était pas majeure. Venue dans la capitale pour faire des photos avec un célèbre photographe de mode qui lui promet une couverture du magazine Vogue, elle ne sait pas quel sera le prix à payer avec cet homme de 30 ans son aîné. Le roman n’est pas linéaire. L’écrivaine fait souvent des sauts en arrière et relate sa relation avec sa mère, la célèbre comédienne norvégienne. C’est une maman inquiète que sa fille se rende dans la capitale alors qu’elle n’est pas majeure qui est dépeinte. Son père aussi est évoqué plus discrètement.

Le roman est dans l’air du temps et reflète cette libération de la parole féminine. Elle dénonce le comportement d’hommes respectés pour leur art qui ont abusé de leur statut pour avoir des relations avec de jeunes mineures. Le milieu de la mode dont elle nous parle n’est pas reluisant. Drogue, abus et manipulations sont monnaie courante. Linn Ullmann parle de son expérience avec difficulté. Certains épisodes sont récurrents, elle y revient de façon obsessionnelle en ajoutant des détails. Il lui est très difficile de raconter ce traumatisme et cela se ressent dans la narration. Ces épisodes la hantent et elle ne parvient pas à tout raconter d’une traite. Cette récurrence se justifie sur un plan narratif afin de retranscrire le trouble de l’écrivaine même si ce côté répétitif pourrait agacer certains lecteurs. Les prédateurs ne sont clairement identifiés : il s’agit de A et de Z.

Un autre intérêt du roman est la relation entre la fille et sa mère célèbre. Liv Ullmann est une très bonne comédienne et son visage est inoubliable. Découvrir cette artiste par le biais du regard de sa fille a quelque chose de captivant, peut-être d’impudique aussi, comme si l’on soulevait le rideau d’un théâtre pour en observer les coulisses. Et c’est aussi une maman vieillissante qui est décrite, qui tremble et qui ne parvient pas à contrôler ces réactions neurologiques. Nous avons parfois l’impression que Linn Ullmann a vécu dans l’ombre de ses parents qui font partie du patrimoine mondial. Dans ce roman, ils sont dépeints comme de simples êtres humains avec leurs faiblesses et leurs défauts. Cela ne les rend que plus touchants.

Je n’ai pas été sensible à l’écriture de l’écrivaine. Certains dialogues m’ont semblé un peu inconsistants. La structure du roman est intéressante pour retranscrire les blocages de Linn Ullmann et la difficulté à dire. Il n’empêche que ce témoignage est éclairant même si l’on sait que le milieu de la mode n’est pas celui qui protège le mieux les jeunes filles séduites par cet univers. Cette libération de la parole reflète le courage de certaines femmes qui se battent avec leur plume.