Le naufrage de Venise
de Isabelle Autissier

critiqué par Nav33, le 28 juillet 2024
( - 76 ans)


La note:  étoiles
Naufrage d'une merveille et d'une famille
Pour ce roman , un coup de cœur tout simplement . Au delà de multiples raisons pour s'y abandonner :
1) Une évocation de Venise , de ses merveilles , de son atmosphère dans ses lieux emblématiques et dans ses quartiers moins fréquentés. C'est aussi sa lagune avec ce qu'elle a encore d'un biotope infiniment riche : vasières , poissons , oiseaux , échanges entre eau douce et salée … C'est aussi son histoire , liée en partie à cet environnement , dont les marécages l'ont mis à l'abri des convoitises et lui ont permis de développer sa puissance maritime et commerciale mondiale. L'un des personnage de ce roman est la mère Maria Alba, descendante d'une généalogie comprenant plusieurs doges . Elle a épousé Guido, issu d'une famille populaire , ambitieux homme d'affaire dans l'immobilier , qui a poursuivi son ascension sociale en devenant adjoint aux affaires économique dans la municipalité. L'argent généré par les tourismes de masse et de luxe permettent de financer l'entretien de l’immense patrimoine architectural de la ville. Celle-ci est en danger par les travaux entrepris au siècle dernier pour industrialiser notamment Marghera et permettre l'accès aux navires de commerce par le creusement d'un canal dans la lagune. Celui-ci est aussi emprunté par les paquebots géants qui venaient jusqu'à un passé très récent malmener les berges du Grand Canal , voie d'accès majestueuse dans cette ville dont les bâtiments sont ancrés sur des pieux . Pour Guido les alertes des universitaires , qui vivent une vie confortables à l'abri des dures réalités économiques , sont vaines : les Vénitiens ont toujours répondu à tous les défis par leur inventivité au cours des siècles , et poursuivront leurs succès contre les éléments , principalement grâce au  MOSE , gigantesque barrage mobile , pour faire face aux tempêtes qui génèrent l'acqua alta . Le MOSE a déjà coûté 9 milliards , et aggraverait à terme le danger si on en croit les scientifiques de mauvais augure.
Ces derniers influencent notamment Léa, la fille de Guido et Maria Alba, étudiante en architecture qui va avoir une liaison amoureuse avec son professeur de chimie des matériaux, militant écologiste de plus de trente ans son aîné.
2) Tous les éléments sont donc en place pour s'acheminer vers un drame familial qui font de ce livre un excellent roman à l'égal des précédents d'Isabelle Autissier comme « Soudains, Seuls » ou (plus injustement moins connu) « Oublier Klara» .
3) Quant au déclenchement de la catastrophe, il est placé en tête du roman . C'est un grand coup qui est frappé (à l'instar du premier chapitre du Ministère du futur https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/67894) On démarre donc avec Le jour d'après.

4) Vous l'aurez deviné les protagonistes de l'histoire sont projetés dans les affres et les dilemmes qui agitent une grande partie de nos contemporains : (pseudo?) réalisme économique , lucidité écologiste scientifique , exigence pour une majorité de progresser par la persuasion , la patience , les leviers démocratiques ; nécessité pour d'autres d'agir par tous les moyens devant l'urgence et l'ampleur de la menace ; dangers du véritable l’écoterrorisme , nécessité de préserver l'état de droit face à l'anarchie violente.., ou déni , impuissance devant des événements perçu comme pas imminents , repli dans le confort et le bonheur familial et individuel , dans la nostalgie du temps passé , la sagesse de cultiver son jardin.