Mozart était une femme: Histoire de la musique classique au féminin
de Aliette de Laleu

critiqué par Poet75, le 1 juillet 2024
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
La musique classique s'écrit au féminin!
Bien sûr, nous connaissons tous Wolfgang Amadeus, le prodigieux compositeur de Don Giovanni, de La Flûte enchantée et de tant d’autres chefs d’œuvre, mais qui connaît sa sœur Maria Anna, que l’on surnommait affectueusement Nannerl ? Même le fameux film de Miloš Forman, Amadeus (1984), l’ignore totalement. Pourtant, elle aussi était bourrée de talent, elle aussi avait les capacités d’être une grande musicienne. Si ce n’est que, alors qu’elle avait déjà composé plusieurs pièces dont son frère Wolfgang lui-même avait fait l’éloge, elle fut contrainte par Leopold, le père, de cesser toute activité musicale pour laisser toute la place à son illustre frère. Selon les critères de ce temps-là, le rôle d’une femme était de se marier et de se consacrer à sa famille. Ainsi fut brisée net la carrière musicale de Maria Anna.
Comme le rappelle Aliette de Laleu dans son ouvrage, le cas de Maria Anna Mozart n’est pas unique. D’autres compositrices connurent un sort semblable, soit en tant que sœur soit en tant qu’épouse d’un grand compositeur. Ce fut le sort que connurent, en particulier, Clara Wieck qui devint Clara Schumann après son mariage avec Robert et dut s’effacer devant le génie de ce dernier, Fanny Mendelssohn, la sœur de Félix qui lui interdit d’exercer son art pour ne pas lui faire d’ombre, ou encore Alma Schindler qui, ayant épousé Gustav Mahler, dut renoncer à ses ambitions de musicienne pour se consacrer à son mari.
Ces exemples nous disent combien il fut difficile pour les femmes de s’imposer en tant que musiciennes et compositrices. L’histoire de la musique classique s’est donc écrite, essentiellement, au masculin. Pourtant, comme le souligne parfaitement Aliette de Laleu, il y eut, tout au long de l’histoire, des compositrices et des musiciennes de grand talent. L’inventaire proposé dans Mozart était une femme débute dès l’Antiquité avec la poétesse et musicienne Sappho et couvre toutes les périodes jusqu’à aujourd’hui, passant par le Moyen Âge avec Hildegarde de Bingen, l’âge baroque (Anna Magdalena Bach), l’âge classique (Hélène de Montgeroult), l’époque romantique et l’époque contemporaine (Nadia et Lili Boulanger, Florence Price, Ethel Smyth, Elsa Barraine, Germaine Tailleferre, Charlotte Sohy et d’autres).
En plus des compositrices, Aliette de Laleu rappelle très justement combien la musique fut servie avec génie par de nombreuses interprètes, chanteuses et instrumentistes. Alors que, durant des siècles, l’Église catholique contraignit les femmes à ne pas chanter dans les églises, où elles furent remplacées par les castrats, les femmes parvinrent néanmoins, d’une part à magnifier de leur présence les opéras (dans lesquels, remarquons-le, leurs personnages connaissent, le plus souvent, un sort tragique), d’autre part à s’illustrer en tant que pianistes (Clara Haskil et bien d’autres), violonistes (Ginette Neveu et bien d’autres), harpiste (Lily Laskine et bien d’autres), etc.
Oui, il faut réécrire l’histoire de la musique en accordant aux femmes la place éminente qui leur revient. De nos jours, de plus en plus de concerts mettent à leurs programmes des œuvres composées par des femmes. Mais il reste beaucoup à faire. À nous aussi, auditeurs, amoureux de musique classique, à sortir des sentiers battus, à faire preuve de curiosité, à écouter et à apprécier les œuvres des compositrices. J’invite, par exemple, même si son nom n’est pas citée dans le livre d’Aliette de Laleu, à découvrir les œuvres de Camille Pépin, jeune compositrice française (née en 1990) à qui l’on doit, entre autres, Les Eaux célestes, œuvre de toute beauté créée l’an dernier, en 2023, par le Frankfurt Radio Symphony Orchestra sous la direction d’Alain Altinoglu.