La Terre de Mandela
de Wole Soyinka

critiqué par Septularisen, le 8 mai 2024
( - - ans)


La note:  étoiles
«Et les cendres sont belles, Les taraudeurs ont fait du bon travail, // Soulagé le bois de sa moelle, laissant aux flammes // Un cœur aisé à questionner.»
«Il connaissait sa terre natale à travers des portes de fer,
Ses yeux étaient des écrans de radar, ses oreilles
Des faisceaux d'électrons. La compagnie
D'une paire de dobermans était toute sa famille.
Les nobles causes, il est vrai, pouvaient compter
Sur sa modeste obole discrètement publiée.»

(Extrait du poème «Après le déluge».)

Si Wole SOYINKA (*1934, prononcez Choyinka, en Yoruba), est surtout connu comme dramaturge et romancier, les inconditionnels de l’auteur africain (comme moi, je dois l’avouer !..), savent qu’il est aussi… poète!
«La Terre de Mandela» (Mandela’s Earth and Others Poems, 1988) est un petit recueil de poèmes (moins d’une centaine de pages), principalement consacrés à la figure emblématique de l’histoire de l’Afrique du Sud, à savoir : M. Nelson MANDELA (1918 - 2013) (1), écrits bien avant sa libération, ce recueil rappelons-le date en effet de 1988.

«Dépouillé des repères, rivé à un promontoire calciné,
Les vagues s’acharnaient à lui briser la têt,
À rejeter la volonté noire de sa race
Dans les lames de fond, dans les siècles de traite de la chair,
Marées de bile aux plages souillées à jamais
Et à jamais ruinées. Pourtant… il a dit non.

(Extrait de «Il a dit non!»)

Il exalte le sacrifice de celui qui est devenu au fil du temps un véritable héros (rappelons qu’au moment où ce recueil est publié, Nelson MANDELA est toujours détenu par un régime prônant l’Apartheid!..). C’est donc avant tout un grand et long éloge, rendant un hommage marqué au courage de M. MANDELA qui résiste encore et encore à un régime qui essaye de le faire plier de toutes les façons possibles et imaginables…
SOYINKA sait d’ailleurs très bien de quoi il parle, puisqu’il a été lui-même emprisonné à de nombreuses reprises, notamment entre 1967 et 1969, lors de la guerre de sécession de la République du Biafra (1967 – 1970).

«Ils virent : ses mains étaient serrées,
Le sang perlait de mille pores. Pêcheur solitaire
Tendu contre la toile huilée d’aubes nouvelles,
Paumoyant main sur main. La prise forçait.
Les cordes entre ses doigts se tordaient en haussières
«Lâchez!» criaient les tentateurs. Pourtant… il a dit non.

(Extrait de «Il a dit non!»)

Cet ensemble de textes est donc aussi un appel à la lutte pour «les rats sans chemise du ghetto sortis pour un instant du cul-de-sac de la faim, des coups et du mépris», jusque dans l’excès parfois.

Il échappa aux lynchages. Il survit,
Je l'ai aperçu en rêve sur la rive
D'un village, d'une terre desséchée
Où l'eau est un dieu
Qui distribue ses faveurs au compte-gouttes,
Où l'attente est un style de vie.
La révolte pourtant brillait faiblement en son œil
Parcourant les retraites de chromes et de platine. Là,
Les centres du commerce bien huilés tournent
Sans ses ordres. Et les villes où naguère il perchait
L'ont oublié, lui, l'oiseau de proie
De passage.

(Extrait du poème «Après le déluge».)

C’est aussi une critique dans un style flamboyant, contre toutes les dictatures africaines, un pamphlet désabusé et éclaté, stigmatisant la corruption sans limites des dictateurs africains, dénonçant la lâcheté, le laxisme et la concupiscence des pays occidentaux – quand ce n’est pas carrément la complicité -, de certains pays africains… Il dénonce p. ex. «L’accord de Nkomati»! (2)

«Les paroles jetées comme grenaille jamais
Ne forgeront la cotte de mailles de notre commun vouloir
Seul le sel de nos paumes baignées de sueur
Serrées dans la colère corroderont
Ces barreaux de prison. Nos aigles encagés
Attendent leur essor, leur plainte douce et dure
Dit qu’ils veulent battre encore nos airs. Notre patience
Attend de concert.

[Extrait de «Apologie (Nkomati)]

C’est une poésie exigeante nécessitant une attention constante. Les poèmes sont très longs, jusqu’à 10 pages de suite parfois. Les vers se prolongent parfois sur plusieurs lignes, commençant sur une ligne, et se finissant sur la suivante. C’est aussi une poésie polyphonique, avec l’intervention de plusieurs voix, tout à fait dans la tradition africaine.
Comme toujours aussi dans ses livres, M. SOYINKA mêle allégrement la langue ordinaire, avec le dialecte Yoruba de ses origines. On gardera donc son Wiki près de soi, afin de ses faire assister… Forcément, vous savez vous ce que c’est un «Akaraba » ou bien de la «Suya»?

«Ta langue se gonfle de sel, quille muette
Fichée sur le fond marin du temps oublié.
Le présent crée des tâches nouvelles, les maîtres sont les mêmes.
Sur ce cette planète étoile de notre galaxie et codée Bantoustan,
Cherchant les diamants rares, ils criblent la poussière de lune.
Aux réserves choisies, pâturages vénérables, toi tu… Pourtant… il a dit non.»

(Extrait de «Il a dit non!»)

Que dire de plus? C’est une poésie très étonnante, agressive, comme un cri, un appel au secours! Un recueil engagé, plus qu’un éloge, un manifeste contestataire, une révolte qui explose contre le racisme et une méditation, une réflexion pour la paix.

«Les accolades des rois ne sont que de présence
Et les cris des absents se perdent au silence.
(…)
Les crânes sont des pavés, les os craquent au vent,
Tels des porcs à l’agonie hurlent les mourants.

La musique des fanfares t’a caché les sifflets.
La plainte des violons au bal du Palais

(Extrait du poème «L’apothéose du sergent-chef Doe».)

Comme toujours dans mes recensions de poésie, je laisse le «dernier mot», au poète...

«Philtre» (À un étudiant croyant)

«Tes mains figées embrassent
Le royaume de la mort

Les pétales d’amour de ses cheveux
Sous ta paume se muent en cendre

La semence en rêves seuls
Desserre cette étreinte de mort

Une dernière parodie inonde
Le drap linceul de l’amour.»

P. S. : Rappelons si nécessaire que M. Wole SOYINKA (*1934) a été en 1986, le premier écrivain africain lauréat du Prix Nobel de Littérature. Il est d’ailleurs au moment même où j’écris ces lignes, le plus ancien lauréat toujours vivant, puisque c’était il y a… 38 ans! Il est aussi le seul lauréat des décennies 1980 – 1990 et 1990 – 2000, toujours vivant à ce jour!

(1). : Cf. ici sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nelson_Mandela
(2). : Cf. ici sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Accord_de_Nkomati