Gaza dans la peau
de Selma Dabbagh, Benoîte Dauvergne

critiqué par Débézed, le 25 mars 2024
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Vivre à Gaza sous les bombes
C’est au moment où la situation devient de plus en plus cruelle en Palestine que les Editions de l’Aube rééditent ce roman de Selma Dabbagh, fille d’un Palestinien et d’une Ecossaise, exilée en Grande-Bretagne après avoir longtemps erré à travers l’Europe et même ailleurs. Ce livre, été publié en 2012 en Angleterre, raconte l’histoire d’une famille fictive de la diaspora palestinienne chassée de sa maison en 1948 après l’annexion de la Palestine par le nouvel état israélien. Cette famille erre à travers l’Europe au gré des aides et des possibilités d’emploi offertes par les différents états. Après les accords d’Oslo qui spécifient, entre autres, certaines dispositions facilitant le retour des Palestiniens dans leur patrie d’origine, la famille Mujahed décide de revenir à Gaza d’où elle a été chassée après la conquête par le peuple juif.

Le père de famille, membre de l’autorité extérieure, l’OLP, qui dirige les territoires concédés aux Palestiniens doit quitter Gaza et se rendre dans le Golfe après que sa femme a intégré une faction rivale, le FPLLP, beaucoup plus violente et radicale. On ne lui laisse pas le choix, il doit démissionner et partir après avoir divorcé, son épouse étant devenue une icône après avoir participé au détournement d’un avion commercial. Leurs trois enfants suivent des parcours fort différents, ils ont suivi des études en Europe, en Suisse, notamment d’où ils sont revenus avec des diplômes qui génèrent plus de jalousie que d’admiration de la part de ceux qui sont restés pour combattre.

Sabri l’aîné, victime d’un accident qui le prive de ses deux jambes, vit reclus dans sa chambre-observatoire d’où il enregistre tout ce qui se passe dans le quartier et écoute à la radio tout ce qui se dit. Il note tout, collationne de nombreux documents, c’est une excellente source d’informations pour les factions qui savent le convaincre. Iman et Rashid, deux jumeaux, fille et garçon, ont choisi des voies radicalement opposées. Iman est institutrice, elle s’implique dans un groupe de femmes pour soulager la douleur du peuple palestinien. Rashid, lui, ne veut plus entendre parler de combat, il ne supporte plus la vie à Gaza avec sa violence quotidienne et ses privations multiples, il se réfugie dans la drogue avant de pouvoir quitter la Palestine.

Iman échappe à un attentat au moment où, sous la pression du désespoir généré par la mort d’enfants de son école et d’amis, elle allait basculer dans les groupes extrémistes et s’engager sur la voie de la violence. Elle rejoint son père dans le Golfe avant de partir pour Londres où Rashid la rejoint après avoir obtenu une bourse d’études. Avec quelques amis, ils participent à la vie de la diaspora palestinienne qui essaie de faire pression sur les différents pouvoirs pour qu’ils accordent un meilleur soutien à leur peuple martyrisé. Rashid est expulsé d’Angleterre et Iman le rejoint à Gaza où ils sont de nouveau confrontés à la violence, notamment à la violence entre factions rivales qui se disputent le pouvoir et les avantages qu’il procure.

Ce livre n’est pas une histoire réelle mais il pourrait l’être, il a été écrit avant 2012, il comporte des allusions à des événements qui ne se sont pas forcément déroulés à Gaza mais en Cisjordanie, en Irak, en Syrie ou ailleurs encore. L’auteure cherche avant tout a montré la face de la Palestine qu’on évoque trop peu souvent, celle d’un peuple martyrisé, écrabouillé, privé de presque tout par un voisin qui veut lui prendre ce qui lui reste de sol. Elle montre aussi toutes les luttes internes dans lesquelles les factions opposées se déchirent sauvagement sans se préoccuper du sort des populations civiles. Ce livre résonne comme un appel au secours contre la violence adverse mais plus encore comme un appel à l’union pour lutter pour la vie d’un peuple en voie de disparition.

A travers cette histoire, elle brosse un tableau de la Palestine vue de l’intérieur et non par des médias pas toujours très bien informés et peu averti de l’histoire et des mœurs de ce peuple multi millénaire. La Palestine de Selma n’est pas la caricature schématique d’un peuple de terroristes qui ne pensent qu’à exterminer ceux qui ne partagent la même religion qu’eux. Certes, Il y a des terroristes dans ce livre mais i y a surtout un peuple en voie d’extermination qui se débat comme il peut pour survire à l’instar de la famille Mujahed. L’inquiétude transmise par Selma dès 2012 présageait bien de ce qui se passe à Gaza aujourd’hui…