Voyage sur les flots de galaxies: Laniakea, notre nouvelle adresse dans l'Univers
de Hélène Courtois

critiqué par Eric Eliès, le 24 mars 2024
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Laniakea : l'horizon du ciel immense - Une présentation, passionnée et passionnante, des recherches en astrophysique pour cartographier les grandes structures de l'Univers
Cet ouvrage de vulgarisation, écrit avec passion et souci d'accessibilité, célèbre la quête, toujours en cours, d'une communauté de chercheurs qui se consacrent à découvrir la manière dont est organisée la structure à grande échelle de l’Univers, au-delà des frontières de notre galaxie. L’auteure, Hélène Courtois, se présente comme une astrophysicienne cosmographe : depuis son doctorat, quand elle était encore étudiante, elle n'a cessé d'interroger le ciel, de mesurer la distance des galaxies lointaines et de les cartographier, de même qu’autrefois de grands navigateurs et explorateurs ont sillonné les océans à la découverte de terres inconnues. C’est grâce à ses travaux (menés au sein d’une équipe internationale) que le super-amas auquel appartient la Voie lactée (notre galaxie) a lentement émergé des données récoltées au sein du projet « cosmicflows », comme une structure gigantesque dont la taille avoisine les 500 millions d’années-lumière ! Ce super-amas a été baptisé Laniakea, qui signifie « immense horizon céleste » en hawaïen (car Hawaï abrite, au sommet du Mauna Kea, un volcan éteint culminant à plus de 4000 mètres, l’un des plus grands et plus importants télescopes du monde). Le projet « cosmicflows » est un projet international de très longue haleine, qui rassemble plusieurs spécialistes de différentes nationalités et spécialités, tous voués à exploiter et interpréter les données recueillies par des télescopes installés aux quatre coins du monde dans les lieux les plus reculés (déserts, montagnes, etc. ou en orbite pour qu'ils soient le moins perturbés possibles), à préparer et analyser les relevés, puis à modéliser les résultats pour parvenir à élaborer une cartographie dynamique de l'Univers connu. L’ouvrage présente les travaux menés avec pédagogie et passion : on sent le soin mis par l’auteure pour partager, non seulement ses connaissances, mais aussi son enthousiasme devant les progrès de la connaissance. Hélène Courtois ne ménage pas ses efforts pour faire ressentir toute la densité humaine de la recherche scientifique, qui est aussi une histoire de rencontres et d’amitiés, et son récit est très clairement le genre d’ouvrage qui peut susciter des vocations, notamment chez les jeunes femmes qui semblent très nombreuses en cosmologie (le livre est d’ailleurs émaillé d’apartés biographiques sur des chercheuses, célèbres comme Vera Rubin, ou moins connues).

Notre connaissance de l’Univers est très incomplète et parcellaire. Pendant longtemps, on crut que l’Univers se réduisait à notre galaxie : c’est Emmanuel Kant (oui, le philosophe !) qui eut le premier l’intuition qu’il existait d’autres galaxies en dehors de la nôtre et proposa le concept d’univers-îles. Jusqu’au début du vingtième siècle, la controverse ne fut pas tranchée et il fallut attendre des mesures effectuées dans les années 1920 (notamment par Shapley - qui ne croyait pas aux univers-îles - et Hubble) pour confirmer l’existence de nébuleuses extragalactiques (comme celle des nuages de Magellan, qui sont de petites galaxies satellites de la Voie Lactée). Notre connaissance de l’Univers est toujours lacunaire mais on en sait aujourd’hui assez pour savoir que la matière présente dans l’Univers se répartit en surfaces, filaments et nœuds qui dessinent une sorte de toile d’araignée tridimensionnelle (le « cosmic web ») ou d'éponge enfermant des bulles de vide. La matière s’organise en réseaux, ainsi que l’illustre la couverture du livre représentant Laniakea comme un bassin hydrographique où des ruisseaux de lumière semblent se jeter dans des rivières qui se jettent elles-mêmes dans des fleuves convergeant vers une sorte de puits intensément lumineux. Les imaginations plus ou moins inspirées pourront aussi, sur cette image, voir en Laniakea un réseau de fibres optiques ou – plus poétiquement – un oiseau lumineux, comme un Phénix ou une grue à longue crête… Le projet « cosmicflows » a non seulement permis de cartographier le super-amas auquel nous appartenons mais aussi de préciser la notion de super-amas, qui était assez floue : désormais, un super-amas se définit comme une sorte de bassin versant pour les flux de matière stellaire. Il existe d’autres bassins versants, qui sont d’autres super-amas du même type que Laniakea, mais nous n’en connaissons pas les contours au-delà de leurs interfaces avec Laniakea.

Au sein de Laniakea, toute la matière converge vers le « Grand Attracteur », une appellation imagée pour traduire que la Voie lactée se déplace à la vitesse de 630 km/s comme si elle subissait l'attraction d'un aimant. C’est l'identification du « Grand Attracteur » (qu'on a un moment soupçonné être l'amas du Centaure), qui a constitué l’objet des premiers travaux de l’auteure. Cette recherche était fortement compliquée par son positionnement dans le même plan que la Voie Lactée, qui masquait le ciel profond. Néanmoins, après 20 ans de travaux de mesure et de modélisation, l’obstacle de ce qu’on appelle la zone d’occultation due à la Voie Lactée a pu être progressivement surmonté en dévoilant la structure des amas au sein du superamas. Notre galaxie appartient à un petit amas, appelé « Groupe local », qui ne contient que 3 grandes galaxies : la nôtre, la galaxie d’Andromède (si proche qu’elle fusionnera un jour avec la Voie Lactée) et la galaxie du Triangle. Notre Groupe local est situé à proximité d’un grand vide, qui accentue l’effet d’attraction des autres amas existants, qui sont en moyenne beaucoup plus importants que le nôtre, comme ceux de l’amas de la Vierge ou de l’amas du Centaure (qui contient près de 1000 grandes galaxies !). Ces amas tirent leur nom de leur position dans le ciel, rapportée aux constellations zodiacales. L'ensemble de ces effets gravitationnels génère le mouvement de notre galaxie, et du groupe local auquel elle appartient, vers un point de chute, qui constitue en quelque sorte l'embouchure (pour reprendre une analogie fluviale) de notre bassin versant. En outre, au-delà des frontières de notre superamas (Laniakea), on pressent l’existence d’autres superamas, qui semblent encore plus grands que Laniakea, comme le superamas de Shapley (du nom de son découvreur) ou le superamas de Persée-Poissons. Ces mouvements dus à la gravitation pourraient faire croire que toute la matière cosmique est en train de converger vers des points de chute (augurant un Big Crunch) mais, en fait, il n’en est rien. En effet, la matière connue n’est qu’une infime partie de l’Univers, qui est principalement constituée de matière noire et d’énergie noire (toutes dites "noire" parce qu'on ne les voit pas). L’énergie noire est la cause avancée pour expliquer l’expansion de l’univers (mise en évidence par Hubble, qui a donné son nom à une constante reflétant la dilatation de l’univers). En fait, quand deux galaxies se rapprochent l’une de l’autre par attraction gravitationnelle, elles s’éloignent malgré tout l’une de l’autre car l’univers se dilate plus vite que la matière ne tombe. En fait, tout se passe comme si deux personnes parties de points A et B distants à la surface d’un ballon cherchaient vainement à se rejoindre à la surface d’un ballon qui ne cesserait jamais de se gonfler… Quant à la matière noire, elle a été mise en évidence après la découverte d’anomalies importantes dans les vitesses de rotation des galaxies. Sans qu'on sache vraiment ce qu’est la matière noire, on est toutefois capable de la cartographier et d’expliquer son rôle fondamental dans la formation des galaxies primordiales, qui ont commencé à apparaître très vite après le bigbang (grâce à la matière noire qui a accéléré leur formation). J'avoue que j'aurais aimé que l'auteure évoque également le rôle possible des trous noirs, qui ne sont jamais mentionnés dans l'ouvrage.

Par ailleurs, et ce qui est rarement expliqué dans les ouvrages de vulgarisation, Hélène Courtois présente les différentes méthodes employées pour le calcul de distance d’un objet céleste ou d’une galaxie, qui repose souvent sur des méthodes complémentaires :
*/ celle de la parallaxe, qui ne peut fonctionner que pour des objets proches en comparant l’écart angulaire entre deux observations depuis deux endroits distants (en fait, on effectue des observations depuis le même endroit à des moments différents de l’année, l’écart étant de position étant dû au mouvement de rotation de la Terre autour du Soleil)
*/ celle dite des Céphéides, qui permet de comparer la luminosité apparente d’une galaxie avec sa luminosité absolue. Pour cela, il faut disposer d’une référence absolue et celle-ci est apportée par la présence d’étoiles dites céphéides, dont la luminosité variable suit une loi de pulsation directement liée à leur période et à leur masse, donc à leur luminosité absolue.
*/ celle dite du redshift (élaborée par les américains Vesto Slipher puis Edwin Hubble), qui mesure l’effet doppler dû à la vitesse radiale d’éloignement des galaxies
*/ celle de Sandra Faber et Robert Jackson, dite Faber-Jackson, adaptée aux galaxies « elliptiques », qui est une loi empirique liant la dispersion de vitesses des étoiles au sein de la galaxie avec sa luminosité absolue (cette méthode a permis à un premier groupe d'astrophysiciens – surnommé avec une pointe d’ironie les « sept samouraïs » tant leurs travaux semblaient sans espoir aux yeux de la communauté scientifique - d’établir dans les années 80 une cartographie de répartition d'un catalogue de galaxies elliptiques, même si la marge d’erreur de leur méthode était très élevée - presque 30 % !)
*/ celle de Brent Tully et Rick Fisher, dite Tully-Fisher, adaptée aux galaxies « spirale », qui mesure (en onde radio) l’élargissement de la raie d’absorption de l’hydrogène dans le nuage de gaz d’hydrogène en périphérie de la galaxie, due à sa mise en rotation sous l’effet de celle de la galaxie (ce qui n’est pas le cas des galaxies elliptiques, où les étoiles ont un mouvement chaotique). L’élargissement de la raie d’absorption est une sorte d’effet doppler traduisant que le nuage se rapproche de nous d’un côté et s’éloigne de l’autre côté. Cette méthode est beaucoup plus précise que celle de Faber-Jackson.

Enfin, outre l’évocation de ses travaux consacrés à Laniakea, qui aboutirent à la publication d’un article en revue en 2014, Hélène Courtois dévoile la vie d’un chercheur et le fonctionnement de la recherche, dont on ne soupçonne pas toujours les enjeux économiques et les contraintes administratives. Ainsi, les grands centres de recherche ne sont pas ouverts ou mis à disposition en libre accès : il est nécessaire aux équipes de soumettre des dossiers de candidatures pour pouvoir, s’ils sont sélectionnés, disposer d’un temps d’utilisation des grands télescopes (sur terre ou en orbite) et/ou des supercalculateurs qui, étant peu nombreux, constituent une denrée rare et précieuse. Les chercheurs passent donc un temps important à justifier et présenter leurs travaux. Ils passent aussi beaucoup de temps à communiquer sur leurs résultats escomptés ou obtenus, à les partager ou à les confronter dans une ambiance qui mélange coopération et compétition (car les plus ambitieux convoitent le prix Nobel et ne veulent pas renforcer des travaux concurrents). Néanmoins, les échanges sont le plus souvent fructueux car ils permettent de renforcer la crédibilité des résultats ou de les enrichir par des approches pluridisciplinaires. Ainsi, Hélène Courtois insiste sur l’importance des autres chercheurs qui ont contribué à ses travaux, notamment en modélisation informatique. Elle ne cache pas non plus que la recherche scientifique exige de s'y consacrer à temps plein, ce qui suppose des sacrifices et des contraintes, pas toujours aisées à concilier avec une vie de famille...