Extension du domaine du capital
de Jean-Claude Michéa

critiqué par CC.RIDER, le 5 mars 2024
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Moloch
Depuis près de trois siècles, le capitalisme ne fait que croître et prospérer en dépit de toutes ses crises et de tous ses krachs. Il se retrouve comme condamné à s’accroître dans tous les domaines de la vie et à se développer jusqu’au bout du monde, faute de quoi il serait condamné à périr. Mais cette fuite en avant perpétuelle, cette expansion continue, l’amenant à monter ces pyramides de Ponzi que sont ces bulles spéculatives de richesses virtuelles représentant plusieurs fois le total des PIB mondiaux ne peut l’amener qu’à devenir de plus en plus totalitaire de plus en plus intrusif au point d’en arriver à réguler progressivement toutes les sphères de l’existence humaine. L’espace réservé à la démocratie se réduit comme peau de chagrin tout comme celui des libertés individuelles (liberté d’expression, de se soigner comme bon vous semble et même de faire pousser quelques légumes dans un petit potager familial…) Cette fuite en avant démentielle n’a aucune chance de déboucher sur un quelconque avenir radieux pour les populations (excepté les 0,1% d’ultra-riches et des 10 ou 20% de classes moyennes supérieures CSP++ métropolitains), si un grain de sable ne vient pas enrayer cette machine devenue folle (wokisme, transhumanisme et autres genrismes intersectionnels). « La catastrophe, c’est lorsque les choses suivent leur cours », (dixit Walter Benjamin)…
« Extension du domaine du capital » est un essai de sociologie politique basé sur deux interviews données par l’auteur à des publications locales, complétées par une trentaine d’articles. Sur divers aspects du problème La particularité de la présentation des idées de Michéa vient surtout des notes et des notes de notes. Ainsi, un article d’une page sur un thème peut-il donner lieu à plusieurs pages de notes et de renvois à toutes sortes d’ouvrages d’autres auteurs. Il faut une bonne dose de constance pour ne pas trop se perdre dans cet étrange labyrinthe intellectuel. La condamnation du capitalisme devenu « néo-libéralisme », sa forme la plus « chimiquement pure », autant dire la plus sauvage et la plus inhumaine, n’épargnant ni les hommes ni la nature, est totale et sans appel. Michéa en bon penseur de gauche appuie sa démonstration sur Marx, Engels, Mauss et une kyrielle d’autres. Il fait aussi beaucoup référence à Orwell qui ne fit pas que critiquer le stalinisme. S’étant réfugié il y a quelques années dans un petit village des Landes à 10 km de la première boulangerie et à 20 du dernier médecin de campagne, Michéa a pu toucher du doigt la réalité de la France périphérique de Guilluy sans se comporter en prêcheur ou en colon, mais avec le désir de s’intégrer en respectant les us et coutumes du coin. Ses traits les plus aigus sont d’ailleurs réservés à la gauche post-mitterrandienne qui a abandonné le social au profit du sociétal et qui est ainsi devenue une alliée objective du capitalisme qui mène une sorte de révolution permanente. Aymeric Caron, Sandrine Rousseau et quelques autres écolo-bobos médiatisés en prennent d’ailleurs pour leur grade. Mais si le constat de faillite est pertinent et difficilement discutable, le lecteur reste sur sa faim sur la conduite à tenir pour sortir de ce piège.
Halte à un progrès destructeur 7 étoiles

Les réactions de son interview landaise(1) ont incité le philosophe parti cultiver son jardin en zone rurale à développer sa pensée. Que devient le « Progrès » tant vanté quand le capitalisme submerge l’économie, la politique et la culture au point de détruire la société ? Quand l’individualisme à tout crin en vient à dissoudre le partage cher à la social-démocratie pour lui substituer la fuite en avant suicidaire du « toujours plus » consumériste ?
Quelques têtes pensantes de gauche gagnées sans combat au modèle dominant ont rendu désirable un style de vie hors sol dont les classes populaires font les frais. C’est le modèle dans lequel s’ébat une bourgeoisie verte de l’entre soi gagnée par l’idéologie woke importée des campus outre atlantiques. Par des formules à l’emporte-pièce Jean-Claude Michéa distribue ses flèches à des têtes de turc dont l’ignorance n’a d’égale que la confusion des valeurs.
A grands coups de références, de citations, de conseils de lecture il clarifie ses propos en ouvrant les uns après les autres une trentaine de chapitres plus ou moins courts. Au lectorat de juger de la construction inhabituelle d’un texte autorisant les digressions à différents niveaux emboités, sous une forme proche des poupées russes ou encore de l’hypertexte.
(1) Publiée au printemps 2021 dans la revue Landemains, téléchargeable sur ce site désormais inactif - https://www.noutous.fr/landemains/

Colen8 - - 83 ans - 17 mars 2024