Le corbillard de Jules
de Alphonse Boudard

critiqué par Minoritaire, le 5 février 2024
(Schaerbeek - 64 ans)


La note:  étoiles
Ah Dieu ! que la guerre est jolie...
Je suis donc le premier célien à commenter un livre de Boudard ? J'avoue que je ne m'y attendais pas, tant je pensais cet auteur connu, reconnu, célébré... (1)

Alors quoi ? Dès les premières pages, on comprend que le narrateur ne va pas nous mener par la main : "Alors; quelques jours plus tard; sur ces entrefaites, le lecteur aura compris que..." Rien de tout cela pour Boudard ; il suit son petit Jules de chemin dans le corbillard et puis voilà. Accroche-toi à ça.
La trame du roman ? 4 FFI vaguement copains ; un qui saute sur une mine (Jules) ; les copains qui ramènent son corps pour des funérailles vite fait ; mais le père qui veut enterrer son fils dans le caveau familial avec les honneurs tralala ; on déterre, on transfère le sapin dans un gazogène (le corbillard) ; et on périple jusqu'à Paris. Quelques embûches en chemin.

Tout cela est surtout pour Boudard, on s'en aperçoit en chemin, l'occasion de nous dresser un portrait en demi-teinte et finalement peu flatteur de cette France qui se découvre résistante en juillet-aout 44 et qui après avoir dénoncé les Juifs et les Résistants (les vrais) dénoncent de pseudo (ou vrais, mais allez savoir) collabos et s'instituent coiffeurs pour dames ; je vous passe le pire, mais l'auteur ne vous le passe pas. Tout au long du chemin, il nous fait aussi le portrait du père, dont il comprend que le désir de ramener son défunt fils à Paris ne tient pas seulement à un noble amour paternel, mais à la rosette que la gloire posthume de Jules pourrait lui rapporter à lui, et le mettre à l'abri des médisances. N'aurait-il pas lui, le boucher, fait son beurre dans le marché noir ? voire pire ?

Vous dire que j'ai apprécié ? Pas vraiment ; trop verbeux, trop à s'écouter parler, se lire écrire et trop peu de chair. En fin de compte, ses portraits au compte-gouttes sont noyés dans la masse du récit, entre deux cahots de route où il flashbacke, fastforwarde, prenant parfois le lecteur de son époque (1975) à témoin. Et puis, il me manque une vraie fin, fût-elle désillusion (la sœur de Jules) ou ironique. Mais sans doute cela fait-il partie du dessein de l'auteur qui finit d'enterrer Jules sous une pluie morose pendant qu'après son oraison, le camarade Duclos rejoint sa voiture abrité par le parapluie du curé.

Restent malgré tout quelques petites saillies qui bottent le cul au patriotisme militaire, au militarisme patriote, un regard lucide sur la dégueulasserie des hommes, quels que soient leur grade, leurs idées, leurs patries une fois armés et lancés dans la boucherie. Et parlant de tout cela, Boudard n'avait comme sujets d'observation que ses compatriotes. Lui-même ne s'extrait pas de la bouse commune. Au moins s'efforce-t-il de ne pas en tirer le plaisir d'y patauger.

(1)Post-criticum. En fait, Ludmilla m'apprend que je ne suis pas le premier à commenter A. Boudard. Si je ne l'ai pas trouvé dans la liste de CL, c'est que "la machine" ne relie pas automatiquement A Boudard et Alphonse Boudard.