Vivre avec son passé
de Charles Pépin

critiqué par Bluewitch, le 22 janvier 2024
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
Le passé ne passe pas
A l'heure des injonctions à vivre dans le moment présent, que ce soit à travers la philosophie bouddhiste, la pleine conscience, la méditation, Charles Pépin décide d'aller à l'encontre de ce courant et nous invite à explorer la proposition de laisser pleinement le passé habiter notre présent. Selon lui, c'est bien le présent qui est abstrait, le futur inexistant car non réalisé, tandis que le passé, "présent" dès que nous venons de vivre l'instant, est le seul qui soit le reflet réel de notre existence. Il va en se déployant, s'enrichit au fur et à mesure que notre vie avance, accumulant nos expériences.
En effet, cette "philosophie pour aller de l'avant" est selon lui la seule manière d'assurer un avenir dont on prendra soin : vivre dans le présent ou faire fi du passé à une époque de tragédie climatique relèverait du grotesque, par exemple.

Abordant tout d'abord la question sous le prisme des neurosciences, il développe son sujet à travers les différentes formes de mémoire, rappelant que cette dernière n'est en rien un espace de stockage de nos souvenirs mais bien un réseau de connexions mettant en relation des apprentissages, des émotions, des événements personnels, collectifs, des sensations, etc. La mémoire est une matière mouvante, évolutive, de même que nos souvenirs qui peuvent se colorer, se réinterpréter différemment selon le regard que l'on porte sur lui.

Le passé ne passe pas, il habite notre présent, et le bonheur serait dès lors la résultante de notre capacité à cohabiter avec lui dans l'acceptation et la pacification. Apaiser les traumas, se réchauffer à la flamme de nos souvenirs heureux (non pas dans la nostalgie mais dans la réjouissance d'avoir vécu ces expériences positives) : voilà comment avancer.

Même s'il est parfois nécessaire, voire vital de nous distancer de notre héritage, il est par ailleurs néfaste de le fuir ou de le refouler : l'effet rebond est alors d'autant plus radical et douloureux. De plus, nous oublions bien moins qu'il n'y parait : cfr la fameuse madeleine proustienne qui, sans crier gare, replonge l'auteur dans un passé soyeux et agréable de façon immédiate. Pensons aussi à nos réactions détachées du rationalisme conscient, parfois viscérales, d'apparence inexplicable... il s'agit pourtant bien du tapis foisonnant de notre histoire qui resurgit sous une forme imprévisible.

Et c'est enfin là le point majeur auquel il est important d'être attentif : la différence fondamentale entre le fait d'habiter notre passé (et donc d'en être prisonnier, de s'en servir pour ne pas aller de l'avant justement) ou de le laisser nous habiter en toute confiance afin qu'il éclaire nos choix, nos perceptions, nos désirs.

Charles Pépin aborde toujours avec ce langage clair des questions philosophiques en totale résonance avec l'époque que nous traversons. Si parfois, certains passages semblent redondants ou plus convenus, l'auteur nous offre ici toute la possibilité de questionner notre rapport à notre histoire, à l'Histoire, dans une démarche accessible et, sans vouloir faire dans le cliché réducteur, "pleine d'un simple bon sens". Simple oui, mais complexe tout de même.

Car au final, notre mémoire révèle aussi l'ampleur de nos incertitudes.
Je me souviens donc je suis 7 étoiles

Charles Pépin est un philosophe et écrivain, intervenant régulièrement sur les ondes de France Inter, dans une émission Sous le soleil de Platon.
L’auteur explique à quoi sert le passé ; comment il nous a construit, comment il nous construit qu’on le veuille ou non, et combien il fait partie de notre identité.
Nous avons plusieurs mémoires, ayant des rôles différents : les mémoires à long terme : épisodique, sémantique et procédurale et les mémoires à court terme : mémoire de travail et mémoire sensorielle.
L’auteur, en s’appuyant très souvent sur les travaux du philosophe Henri Bergson, explique combien les souvenirs sont utiles à nos actions présentes. "La mémoire sert moins à conserver le passé qu’à se projeter dans le futur".

Notre passé ne commence pas à notre naissance, mais trouve son origine bien avant, dans la vie, les croyances, les souffrances et les joies de ceux qui nous ont précédés, et dont nous héritons parfois sans le savoir.

Mais si notre mémoire fonde notre identité, est-il nécessaire de conserver vivaces les pires épisodes de notre histoire ? Une amnésie volontaire est-elle possible ?
Vouloir refouler ou éviter les pensées négatives a des effets négatifs sur l’humeur ; l’effet ours blanc cf Dostoïevski "essayez de ne pas penser à un ours polaire, et vous verrez que ce satané ours apparaîtra dans votre esprit à chaque minute".
Alors prenons "Un temps d’accueil : pour réaliser ce que notre passé a fait de nous, puis un temps d’action : pour décider de ce que nous en faisons.
Un temps d’accueil : pour prendre la mesure de ce dont nous héritons. Un temps d’action : pour devenir des fondateurs.
Le premier mouvement dit que nous sommes le fruit de notre passé, le second que nous sommes plus que cela."

L’auteur propose de changer notre regard sur notre passé, en échangeant avec un aïeul, en rencontrant des personnes ouvrant de nouvelles perspectives… ou simplement en laissant le temps passer créant une distance salutaire... , notre histoire nous apparaîtra sous un nouveau jour ; nous réussirons à relativiser un tort subi et nous voilà apaisés, délivrés. Et ne pas oublier de "réveiller les souvenirs des belles choses, de se créer et de prendre consciences de nouveaux moments de bonheur".

Très gênée au début par la lecture où "j’entendais" la voix de l’auteur (que je n’apprécie pas particulièrement), j’ai réussi à suivre les réflexions, les découvertes, à retrouver des éléments connus et à prendre conscience que notre mémoire faisait notre identité.
Pas de recette miracle, l’auteur est un philosophe, mais de quoi réfléchir à nos choix et apprendre à vivre avec son passé.
"Trois mouvements donc, trois gestes : se tourner vers le passé, vers l’avenir, vers les autres et le monde."

Marvic - Normandie - 66 ans - 21 février 2025