Ton absence n'est que ténèbres
de Jón Kalman Stefánsson

critiqué par Alma, le 9 janvier 2024
( - - ans)


La note:  étoiles
Voyageur sans bagage
Etrange situation que celle de se réveiller un jour, frappé d'amnésie, dans une église, ignorer où elle se situe, pourquoi on s'y trouve, y rencontrer des personnes qui vous reconnaissent et vous proposent de vous emmener chez un membre de votre famille puis tenter de comprendre , lentement, en silence , en écoutant les autres parler, qui vous êtes et quel a été votre passé . Vous voilà devenu un voyageur sans bagage ….
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C'est ce qui arrive au narrateur de TON ABSENCE N'EST QUE TENEBRES, long, riche et dense roman de Stefansson, son 8e roman traduit en français. Un roman magnifique de 600 pages qui se mérite !
Son titre, emprunté à une phrase gravée sur la tombe du cimetière entourant l'église où se « réveille » le narrateur est la métaphore de l'état dans lequel il est plongé. Des flashes successifs portant sur différentes générations de sa famille traduisent le fonctionnement de ses souvenirs épars . S'il lui est est difficile de leur trouver un fil directeur et de les relier entre eux, c'est aussi le cas pour le lecteur, désorienté parmi la multiplicité des personnages et des lieux .

J'avoue que si j'ai persévéré dans la lecture, c'est que j'ai déjà rencontré dans plusieurs romans de Stefansson, notamment dans A LA MESURE DE L'UNIVERS et dans ASTÄ, cette construction en forme de labyrinthe narratif qui déjoue l'espace et le temps, mais qui permet de découvrir toute une gamme de personnages troublants et attachants porteurs de faiblesses et de failles.
C'est aussi parce que Stefansson, selon son habitude, mêlant narration et réflexion, intègre régulièrement dans son tissu narratif des phrases portant sur l'écriture, la création artistique ou le sens de la vie, des phrases construites comme des aphorismes et qui confèrent à son style, déjà riche en métaphores, un caractère majestueux .
C'est enfin parce qu'il ponctue son roman, comme il l'avait déjà fait dans D'AILLEURS LES POISSONS N'ONT PAS DE PIEDS  et dans ASTÄ, de références à des œuvres musicales . Après celles de BACH et les chansons de NINA SIMONE, il élargit ici son registre sur la musique anglo-saxonne de la seconde moitié du 20é siècle. Leurs titres sont récapitulés en une longue play-list de 4 pages en fin d'ouvrage. La meilleure façon de goûter leur pertinence est de les écouter, au fur et à mesure de la découverte des chapitres qu'elles sont destinées à accompagner, car elles amplifient ou prolongent leur atmosphère .

Echo amplifié des ouvrages précédents de Stefansson, TON ABSENCE N'EST QUE TENEBRES est un roman magistral, tant par son écriture à dimension poétique ( merci au traducteur Eric Boury !) que par sa dimension de saga familiale et par l'analyse des aventures intérieures des personnages qui la peuplent .