Le parler des métiers - dictionnaire thématique des métiers
de Pierre Perret

critiqué par Eric Eliès, le 5 janvier 2024
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Dictionnaire thématique d'une grande richesse sur le parler des métiers (vocabulaire technique, expressions d'usage et argot), aux tournures souvent amusantes et savoureuses, mais qui aurait mérité d'être davantage approfondi et apuré d'exemples malvenus.
Même si internet leur a sans doute porté un coup fatal (il n’y a qu’à voir, chez les bouquinistes, tous ces luxueux dictionnaires encyclopédiques, qui faisaient autrefois l’orgueil d’une bibliothèque dans leur belle reliure cuir, soldés pour moins qu’un livre de poche…), j’aime toujours me plonger dans les dictionnaires, y découvrir des mots oubliés ou des expressions inusitées, parfois étranges parfois éclairants sur notre parler familier. Je me suis donc laissé tenter par ce gros dictionnaire thématique composé par Pierre Perret, fruit d’un vrai travail d’enquête qui a mobilisé des équipes pendant plus de 10 ans pour explorer le parler des métiers, ou plutôt de toutes les « activités professionnelles » puisqu’on y trouve aussi le parler du grand banditisme (curieusement intégré à celui de la police), de la prostitution et des dealers… Le dictionnaire est divisé en une vingtaine de sections (de la première « arts du spectacle » aux deux dernières « religion » et « varia »), qui sont elles-mêmes divisées en métiers.

Le dictionnaire est précédé d’un avant-propos de Pierre Perret, qui précise sa méthode et son ambition. Issu d’un milieu populaire (ses parents tenaient un café fréquenté par des gens de tous milieux et professions), il a voulu garder trace et partager un vocabulaire et des tournures idiomatiques singulières, souvent très imagées et parfois piquantes. Il s’est limité aux métiers actuels (sauf une ou deux exceptions, comme les bateliers, pour le charme désuet de leurs expressions) et n’a pas cherché à mener un travail universitaire et exhaustif. Son intention était de refléter la saveur de langages spécifiques et la vitalité de leurs usages quotidiens. Le dictionnaire s’achève d’ailleurs avec un petit mot de Pierre Perret, qui invite le lecteur (en lui donnant une adresse mail) à lui faire part de propositions pour améliorer ou enrichir le dictionnaire en vue d’une éventuelle réédition. L’avant-propos est complété de notices placées en tête de chacune des sections, qui ont souvent des accents autobiographiques, notamment celle des « arts du spectacle » où Pierre Perret évoque sa découverte personnelle de ce parler, lors de ses débuts sur scène. Le ton est subjectif, car Pierre Perret n’hésite pas à donner son sentiment personnel sur la richesse de la langue, à s’étonner et à s’amuser de certaines tournures inattendues (par exemple l’expression « fesser le requiem » utilisée par les religieux lorsqu'ils sont pressés d’accélérer l’office…). Pierre Perret a aussi voulu donner place à Pierrot, l’amoureux des mots et de la langue verte, notamment dans le choix des phrases données en exemple d’usage. J’y reviendrai car, malheureusement, ce n’est pas toujours d’une grande pertinence ni de bon goût…

Une longue préface (de Gabrielle Quemada) complète utilement l’ouvrage en le mettant en perspective de travaux similaires menés depuis 18ème siècle (le premier étant le « Furetière » de 1690, qui inspira le « Dictionnaire universel » de Trevoux puis l’Encyclopédie de Diderot) , qui tous ont cherché à révéler et préserver la richesse de ces parlers qui intègrent un vocabulaire technique de spécialistes, ainsi que des expressions d’usage, puisque tout langage tend à se transformer et à s’enrichir des nuances apportées par les locuteurs, et un argot. Ce trésor linguistique (essentiellement lexical) a longtemps échappé aux personnes extérieures à ces métiers et même aux romanciers (sauf ceux qui menaient un vrai travail de terrain pour assurer le réalisme de leurs récits – Quemada cite Zola en exemple). En fait, les dictionnaires n’ont longtemps reflété que l’usage de la langue écrite et l’oralité était omise, presque perdue, or elle est d’une grande richesse, notamment en raison aussi de l’influence des idiotismes populaires et régionaux (que Balzac, Hugo, Sue, et Sand ont su capter, tout en les déformant par des correctifs littéraires).

A l’usage, ce dictionnaire est intéressant mais frustrant, comme si l’équipe dirigée par Pierre Perret s’était contentée d’une approche un peu laconique, se contentant d’échanges superficiels avec des gens du métier pas toujours investis ou informés. De par mon métier, je me suis prioritairement intéressé aux parlers des militaires et des marins, qui me semblent mériter plusieurs reproches :

- des définitions parfois trop imprécises pour être bien comprises :
Par exemple, l’explication de « sortir les violons » [armées/marine nationale] est si laconique (= « installer par mauvais temps un dispositif antiroulis sur les tables des repas ») qu’elle n’explique pas vraiment ce que c’est. En fait, on installe de grandes barres de bois qu’on visse à la table pour la quadriller afin de bloquer les assiettes et leur éviter de glisser avec les mouvements de roulis (ce qui ne les empêche pas de décoller en cas de gros tangage…)

- des omissions regrettables :
Le dictionnaire est assez riche mais le choix des mots est étrange, à la fois précis et lacunaire. Dans le cas de la marine, on y trouve « pacha », « sorcier », « midhsip », « bordache », etc. mais il manque des mots d’usage courants, qui auraient mérité d’y être, par exemple « jeuler » (pour vomir sour l’effet du mal de mer) ou « crabe » et « chouf » (pour désigner les matelots et quartiers-maîtres sur les bateaux, qui viennent du temps des bateaux à vapeur mais qui sont toujours d’usage – par exemple, on disait « crabe » parce que les matelots manoeuvrant le brûleur des chaudières à charbon devaient marcher latéralement pour le porter).

- des définitions erronées :
Par exemple, bidel (curieusement placé chez les douaniers) est expliqué comme « adjudant, du nom du garde-chiourme qui, sur les galères, donnait la cadence » alors que bidel est le surnom de l'adjudant (et du capitaine d’armes, dans la marine) inspiré du nom d’un célèbre dompteur de fauve des années folles (et non d’un usage - non documenté à ma connaissance - sur les galères).

- des exemples d'usage inappropriés, voire stupides :
Saint-Cyr a l’honneur (contrairement aux autres écoles militaires) de figurer dans le parler des grandes écoles (au côté de Polytechnique et des ENS), mais c’est peut-être mieux pour l’Ecole navale d’en être absente. En effet, sans doute en raison de l’antimilitarisme avoué de Pierre Perret, les exemples d’usage, qui se veulent probablement truculents et librement irrévérencieux, sont parfois plus stupides qu’impertinents. J’en prends pour exemple, Cyrard = Saint-Cyrien – On a fait dépuceler un cyrard chez la grosse Maguy, qui a voulu s’en charger elle-même. Point. Voilà, c'est tout. Peut-être que Pierre Perret s’est offert une petite vengeance personnelle (je ne sais pas où il a fait son service militaire…) mais, à quoi ça sert, à part écorner l’ouvrage en donnant le sentiment d'un grand n'importe quoi ?

Au final, je pense que l’intention était louable et utile car ce dictionnaire thématique très complet, puisqu'il porte sur une centaine de professions, permet réellement de découvrir des termes (techniques ou argotiques), des expressions et des usages, souvent curieux et amusants. Néanmoins, il aurait été préférable d’explorer davantage ces parlers et, surtout, de mieux choisir les phrases d’usage pour éviter de susciter un double sentiment de frustration et d’irritation. Pierre Perret en est toutefois conscient, car il s’en explique à plusieurs reprises, et évoque que certaines professions (notamment les policiers) lui ont demandé de bien vouloir ne pas (trop) les discréditer (ce qui n'empêche pas Pierre Perret de les égratigner dans sa notice) !