La bouille des mots
de Bernard Bretonnière

critiqué par Débézed, le 27 décembre 2023
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Le bon usage des mots
J’ai rencontré littérairement Bernard Bretonnière en lisant son recueil de poésie, « Daté du jour de ponte », publié chez Les Carnets du dessert de lune. De la poésie à l’écriture d’aphorismes il n’y a qu’un pas, juste quelques pieds, que Bernard a aisément parcouru, apparemment même avec un certain plaisir, voire une certaine délectation. Il aime les mots, il les cajole, c’est sans doute pour cette raison qu’ils ont une bonne bouille et qu’ils sonnent si bien sous sa plume. Il sait les choisir et les faire chanter car « il y a des mots qui ont une bonne bouille et des mots qui ont une sale gueule ».

Dans ce recueil, il laisse une large place au champ lexical relatif à l’écriture : mots, aphorismes, écriture, écrivains, livre, poème, …, des mots autour desquels s’articulent la création et la publication d’un bon recueil d’aphorismes, à condition d’y ajouter l’éditeur et le lecteur qui sont deux autres acteurs incontournables à la réalisation de cet objectif.

Bernard se désigne lui-même comme victime de la malédiction de la mi-siècle : « … né en 1950 : trop jeune (ou tardif) pour compter parmi les écrivains du vingtième siècle, trop vieux pour le vingt et unième… ». Il a cependant eu l’envie et le talent nécessaire pour écrire, « Ecris, joue. / Ecris, dérange. / Ecris, ne cherche pas à te faire passer pour plus intelligent que tu n’es ». Conseil plein de sagesse, suivi de cet autre tout aussi sage : « Ne doute pas que tout ce que tu écris sera retenu contre toi ».

Pour écrire, il faut choisir des mots, si possible des mots qui ont « une bonne bouille ». Il conseille de délaisser les « Mots usés, mésusés, prostitués : langue de pub », ces mots qui ne servent qu’à marquer l’instinct des consommateurs trop crédibles. Avec ces mots l’écrivain peut composer des poèmes ou inventer des aphorismes. « Il y a deux sortes de poètes à fuir : les suffisants et les insuffisants ». Et le poète doit savoir ce que le lecteur attend de sa plume, « D’un poème j’attends l’inattendu, l’inentendu, l’inouï ».

Et avec des poèmes, des aphorismes, des textes courts, …, l’écrivain produit un livre, si possible un livre qui trouvera des lecteurs intéressés. « Un livre qui ne laisse pas indifférent est un livre qui laisse différent ». Longtemps , il remuera dans sa tête et aphorisme en forme de sentence : « Les livres qu’aime un écrivain sont les livres qu’il n’a pas su écrire ». Et jamais, il ne devra l’oublier… Ce recueil d’aphorismes peut se lire comme un manuel d’écriture de poésie ou de textes courts divers. Mais il comporte aussi quelques aphorismes pleins d’humour et d’esprit comme celui-ci que j’ai bien apprécié : « Peut-on préférer la licence poétique à la poésie licencieuse ? ».

Pour compléter son recueil, Bernard a publié quelques listes dont il est un grand spécialiste, il en tient de nombreuses régulièrement à jour, dont il a publié un échantillon à la fin de cet opus. Liste de zeugmas, de répliques, d’anecdotes, de mots d’un dictionnaire spécialisé, d’enseignes d’échoppes, de dictons, de formules, … toutes sont remplies elle aussi d’esprit et d’humour.