Le pénitent
de Isaac Bashevis Singer

critiqué par Sahkti, le 7 décembre 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Retrouver la foi
Beaucoup de causticité dans ce texte d’Isaac Bashevis Singer. L’auteur se glisse dans les premières lignes, évoquant un voyage et une rencontre devant le Mur des Lamentations. Un homme, Joseph Shapiro, devenu pénitent, décide de lui raconter son parcours. C’est le corps du récit, complété par quelques notes personnelles d’I.Bashevis Singer sur ce qu’il a écrit.
Joseph Shapiro raconte sa vie d’homme d’affaires fortuné et sans soucis à New York, son besoin de faire comme tout le monde et de prendre une maîtresse, qui dépensera son argent et le rendra malheureux. Le jour où il décide de la quitter, il découvre que sa femme Célia le trompe elle aussi. Juste revers de la médaille…. voici le narrateur prenant la poudre d’escampette pour Tel-Aviv, espérant y trouver un nouveau sens à sa vie. Pendant tout le voyage, il est en proie au démon et ses bonnes résolutions d’homme juif désirant retrouver la foi fondent devant les femmes et les pensées impures.
"Pour cela, il faudrait croire que tout ce qui est dit dans les livres sacrés a été révélé à Moïse sur le mont Sinaï. Malheureusement, cette fois, je ne l’ai pas.
- Pourquoi dites-vous 'Malheureusement' ?
- Parce que j’envie ceux qui l’ont." (page 18)
Shapiro se cherche, découvre avec chagrin et désillusion que Tel-Aviv ressemble à n’importe quelle autre ville en proie au commerce, aux jolies vitrines et à un besoin sans fin de modernité. Comment retrouver sa foi et se débarrasser de tous ses péchés…
D’une manière très simple, Shapiro se confie, raconte sa vie et son parcours, nous le suivons pas à pas dans sa quête de renouveau spirituel.
Il rencontre des gens, bons ou moins bons, vit quelques expériences douloureuses, se pose beaucoup de questions avant d’un jour recevoir ce qu’il conçoit être la révélation.
"Une coïncidence est le fruit du hasard. Les Emancipés prétendent que le monde est gouverné par le hasard mais un Juif qui a la foi sait que tout ce qui arrive doit arriver. Coïncidence n’est pas un mot cacher… " (page 118)

Si Isaac Bashevis Singer a mis l’humour de côté dans ce texte, pourtant si présent dans son oeuvre, cela ne l’empêche pas de déposer sa touche de causticité à l’égard de son semblable, comme il le fait souvent. L’homme juif n’est pas meilleur qu’un autre (la femme non plus) et beaucoup d’hypocrisie règne dans certains milieux religieux qui se veulent plus intégristes qu’ils ne le sont et ne mettent pas en application les bons principes qu’ils revendiquent.
"Pour que cet individu trop bien nourri dévore son jambon, une créature vivante avait été élevée, traînée à la mort, torturée, poignardée, ébouillantée. Et ce type ne pensait pas un instant que ce porc était fait de la même substance que lui et qu’il avait dû payer de sa souffrance le fait qu’on puisse le savourer. J’ai pensé plus d’une fois que, lorsqu’il qu’il s’agit d’animaux, chaque homme est un nazi. J’avais souvent réfléchi à cela mais sans parvenir à aucune conclusion malgré tout. (…) Pour la première fois, je réalisai quel horrible hypocrite j’étais." (page 42)
Les crimes nazis reviennent de nombreuses fois dans "Le pénitent", I.B.S. aborde la question avec sensibilité, le sujet est douloureux et ça se lit. Il faut vivre avec cet héritage à double tranchant. Un peuple est victime, il ne doit pas devenir bourreau, en aucun cas.
"Dieu nous a choisis entre tous les peuples et a voulu que nous évitions les abominations commises par les autres, mais nous faisons souvent les mêmes choses que nos persécuteurs. Il nous punit, nous péchons à nouveau. Les agents du mal nous fouettent, nous poignardent, nous brûlent et malgré cela, nous sommes nombreux à imiter leurs façons de faire. A notre époque, nous avons reçu le coup le plus dur qu’un peuple puisse recevoir et néanmoins, cela ne nous a rien appris." (page 148)

A plusieurs reprises, j’ai eu le sentiment qu’Isaac Bashevis Singer faisait un peu le point sur sa propre foi dans ce récit, à travers la parole d’un autre. Un constat amer sur lui mais aussi sur son prochain, sur l’humanité, sur la religion. Les quelques notes personnelles découvertes en fin de recueil, après la lecture, ont confirmé mon impression. A travers ce Shapiro qui se cherche, c’est Bashevis Singer lui-même qui tente de se trouver.
Belle appréciation de ma part pour ce texte qui se démarque un peu d’autres écrits de l’auteur, un récit plus grave, plus personnel.