L'ombre d'une racine
de François Degrande

critiqué par Débézed, le 20 décembre 2023
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Marée noire
Le 4 décembre 2002, Santos traverse une plage galicienne pour rejoindre le groupe de bénévoles qui tente de limiter les dégâts occasionnés par le déversement de la cargaison pétrolière du Prestige, quand il trouve dans les rochers un très jeune nourrisson et un chien attaché à un poteau de fortune. Il prend l’un et l’autre avec l’intention de les donner aux policiers mais, en cette période de crise provoquée par la catastrophe, tout le monde est débordé, les hommes comme les réseaux de communication. Il rentre chez lui pensant montrer l’enfant à sa femme qui, comme lui, est stérile. Ne pouvant avoir d’enfant, il pense qu’elle se réjouirait d’en voir un dans leur maison même pour un court instant. Mais, surprise, sa femme a quitté la maison lui laissant un mot pour l’avertir qu’elle part définitivement sans dire où.

L’auteur raconte l’histoire de cette fameuse journée au cours de laquelle Santos aurait enlevé un enfant et fait disparaître sa femme, tout l’accuse surtout son désir d’enfant et les origines de sa femmes liées au milieu de certains notables de la région. Il raconte le déroulement de cette journée en alternance avec les récit de sa vie que fait Santos à son avocat essayant de comprendre les motivations de son client et surtout ses errements. Santos est profondément mythomane, il affabule sans cesse, il s’invente des vies qu’il n’a pas eues, des relations qu’il n’a pas connues, des diplômes qu’il n’a jamais obtenus, … Sa femme l’a probablement quitté pour cette raison.

Les deux récits diffèrent sensiblement, le premier, le déroulé officiellement reconnu des événements, est fortement influencé par les témoignages et manipulations de la police, de la « Guardia civile », de la justice, de certains médecins, sans oublier celle de l’église très influente en Espagne. Le second, celui dans lequel Santos raconte sa vie, est plein de fantasmagories, d’affabulations, d’inventions mais aussi de réalités glissées prudemment sous une chape de plomb et de silence. Santos évoque notamment le « recyclage » des enfants au gène rouge, les enfants des communistes, retirés à leur famille morte ou vive pour être confiés à des bonnes familles espagnoles aisés et surtout loyale envers le pouvoir. Cette même infamie commise par son ami argentin en Patagonie notamment. Le franquisme aurait exercé certaines influences sur la doctrine et les manœuvres de la junte militaire au pouvoir en 1978.

Ce roman débouche sur un procès qui devrait livrer de nombreuses vérités : nom de celui qui a enlevé l’enfant, sort de la jeune femme de Santos, funeste combines des franquistes pendant la dictature, etc… mais il semble que l’objet de ce livre soit ailleurs. J’ai eu l’impression que l’auteur voulait surtout dénoncer le sort des enfants enlevés, comme l’épouse de Santos qui semble avoir tout compris, les exactions de la junte militaire argentine, les dégâts causés dans la nature mais surtout dans les esprits par la catastrophe pétrolière, le conditionnement de la pensée à l’époque du franquisme (face à la fantasmagorie de Santos), …

François Degrande est un poète et il en a gardé la plume, son écriture, riche en mots rares, en formules recherchées, en détours audacieux et plus à l’aise dans les fantasmagories de Santos que dans les arcanes d’un procès judiciaire ou d’un procès-verbal de la police. Son texte est plus créatif que didactique, c’est une vraie création littéraire.